En mars 1968, Oum Kalthoum arrivait au Maroc pour deux concerts. Elle en offrira trois, tant l’enthousiasme du public marocain était débordant…
L’annonce se répand comme une traînée de poudre. Dans les cafés, les souks, les salons feutrés et les bureaux, on ne parle que de ça. Oum Kalthoum au Maroc ? Un rêve qui prend vie. Dans toutes les sphères de la société, l’attente est immense. Les billets s’arrachent à 300 dirhams, une fortune pour l’époque ! Certains économisent pour s’offrir une place, d’autres savent déjà qu’ils écouteront de loin. Les plus chanceux suivront le spectacle à la télévision, les autres se regrouperont autour des rares postes de radio.
Ce soir-là, alors que l’élite s’apprête à se rendre au Théâtre Mohammed V de Rabat, peu importe l’endroit où l’on se trouve, c’est le même frisson qui parcourt le pays. Le silence tombera. Seule une voix résonnera, celle de l’Astre de l’Orient.
Premier concert
À l’intérieur du théâtre, diplomates, intellectuels et passionnés de musique retiennent leur souffle. L’attente est à son comble.

Puis, elle apparaît. Oum Kalthoum entre en scène. Un silence habité s’installe, comme suspendu à sa présence. Son mouchoir fétiche à la main, elle entame son premier morceau. Sa voix s’élève, envahit l’espace, hypnotise. Chaque modulation capte l’attention, chaque improvisation envoûte.

Puis vient le mawal de Houwa Sahih. Dix minutes suspendues dans le temps. Le tarab s’installe, la salle exulte. L’émotion est indescriptible. Ce soir-là, Rabat assiste à l’une des performances les plus bouleversantes de sa carrière.



La salle est en extase. Les youyous se mêlent à une ovation debout de plusieurs minutes, des femmes en caftan montent sur scène pour offrir de gigantesques bouquets de fleurs et embrasser la chanteuse. Alors que la soirée semble toucher à sa fin, Oum Kalthoum surprend son public avec une dernière partie d’Al Atlal. Au dernier écho de sa voix, le public applaudit sans relâche, comme pour prolonger l’instant. Ce soir-là, Rabat ne l’a pas seulement écoutée. Le Maroc l’a aimée.

Les grandes soirées ont parfois leurs petites histoires.
Avant de monter sur scène, Oum Kalthoum va vivre un moment inattendu… loin des projecteurs.
Le séjour d’Oum Kelthoum au Maroc coïncidait avec l’Aïd al-Adha et le Roi Hassan II lui fit envoyer deux moutons à son hôtel. Mais impossible de les sacrifier sur place, l’établissement étant géré par des Américains. Ahmed Snoussi, ministre de l’Information, trouva une solution. Accompagnée du gouverneur de Rabat, Oum Kalthoum monta dans une Jeep en direction du quartier populaire d’Al’akari. Devant une maison choisie au hasard, un homme ouvrit la porte, surpris. « Elle ressemble vraiment à Oum Kalthoum… » dit-il, avant d’apprendre qu’il avait face à lui l’Astre de l’Orient en personne. L’accueil fut spontané et sincère. Autour d’un repas improvisé, la famille partagea brochettes, thé et pâtisseries avec leur prestigieuse invitée. Avant son départ, la maîtresse de maison retira un bracelet en or de sa main et le lui tendit. « Acceptez-le, en souvenir de cet honneur que vous nous avez fait. » Émue, Oum Kalthoum esquissa un sourire et essuya une larme. Elle se tourna alors vers Snoussi. « Comment puis-je remercier les Marocains ? ». Il saisit l’occasion. « En nous laissant filmer vos concerts et les diffuser à la télévision. » C’est ainsi que, contre toute attente, les performances d’es sett (la dame), furent immortalisées au Maroc.
Itinéraire d’une tournée historique
Après ses concerts à Rabat, Oum Kalthoum ne s’arrête pas là. Son voyage la conduit à la rencontre d’un Maroc qui l’attend avec ferveur. À Fès et Meknès, elle arpente les ruelles des médinas, fascinée par l’architecture et l’histoire qui se lisent sur chaque mur. Partout où elle passe, les portes s’ouvrent, les invitations fusent. Elle est reçue dans plusieurs maisons, où l’on déploie l’hospitalité marocaine avec générosité.


Puis vient Marrakech où l’accueil est grandiose. Des centaines de musiciens et danseurs sont là, rassemblés pour elle. Les tambours résonnent, les voix s’élèvent, la troupe d’Ahwach se met en mouvement. Emportée par l’énergie du moment, Oum Kalthoum participe à la danse. L’instant est intense. Le spectacle devient une communion. Celui d’une légende portée par l’amour de tout un peuple.

À Jamaâ El Fna, la foule scande son nom et resserre son étreinte autour de sa voiture. Le chauffeur tente d’avancer, mais l’enthousiasme débordant le retient. Le véhicule se soulève, les roues tournent un instant dans le vide. Avec calme, les forces de l’ordre rétablissent le passage. Pendant ce temps, Oum Kalthoum est sereine. Elle savoure l’instant, adressant sourires et gestes tendres à cette marée humaine qui, littéralement, la porte aux nues.
Dans une interview à la télévision égyptienne, Oum Kalthoum partage ses impressions sur le public marocain
Les Marocains ont la musique dans les veines. Chaque fois que j’ajoute quelque chose de nouveau dans une chanson, ils le reconnaissent très vite. Le peuple marocain est un peuple d’artistes. Il réagit à la musique avec une sensibilité hors du commun. C’est peut-être le public le plus réactif à la musique que j’ai eu à voir ».
Un récital intime à Rabat
Lors d’une soirée privée chez feu, le prince Moulay Abdellah, Oum Kalthoum interprète « Ya Rassoul Allah Khoud Biyadi », accompagnée par l’orchestre royal. Salah Cherki, virtuose du qanoun, se souvient : « Elle a improvisé le refrain et des appels au Prophète pendant près de 20 minutes. » L’instant était solennel, chargé d’émotion.
Une soirée privée à Casablanca
À Casablanca, chez l’industriel et mécène Abdelouahed Smili, Abdelwahab Doukkali, oud en main, lui rend hommage en reprenant « Al Atlal », avant d’enchaîner avec son tube du moment, « Ma ana illa bachar« . Une troupe de guedra danse en son honneur, sous le regard émerveillé d’un parterre d’artistes, de politiques et d’hommes d’affaires.

Alors qu’elle s’apprête à quitter le Maroc, un dernier hommage l’attend. Une bougie gigantesque, envoyée du mausolée Moulay Idriss, comme pour lui dire que même ailleurs, le souvenirs de ses concerts, de ses improvisations et des foules en extase, continueront à illuminer les esprits.
Des générations plus tard
Oum Kalthoum est toujours là. À Fès, au Caire, en Tunisie, à Paris, à Rabat ou à Marrakech, dès que l’une de ses mélodies s’élève, sa voix retrouve sa place… dans tous les cœurs.





Khadija Dinia, aka Didije est une journaliste influenceuse qui jongle entre papier et digital, en s’inscrivant aux tendances du moment. Elle met sa plume, son regard et son coeur au service du beau, valorisant tout type de contenu.
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