Mariages, baptêmes, premières menstrues, premiers jeûnes… Au Maroc, le henné accompagne les grands passages de la vie et honore les invités précieux. Mais d’une région à l’autre, les gestes et les symboles changent. Et derrière chaque motif, c’est une mémoire qui s’inscrit.
Originaire d’Afrique du Nord-Est et d’Asie du Sud, cette plante aux feuilles teintantes est utilisée depuis des millénaires. En Égypte ancienne, on en décorait déjà les momies, croyant en sa puissance purificatrice et protectrice. En remontant les routes caravanières, le henné arrive au Maghreb. Il s’enracine dans les coutumes locales, se mélange aux croyances et devient une tradition à part entière. Au Maroc, il pousse notamment dans les régions du Tafilalet, de Zagora ou encore dans certaines zones du Haut-Atlas. Mais le plus fascinant n’est pas tant la plante que ce qu’on en fait.
Le langage des femmes
Traditionnellement, ce sont les femmes qui préparent et appliquent le henné. Réduit en poudre fine, mélangé à de l’eau, du citron, parfois du sucre, du clou de girofle ou de l’eau de rose, il devient une pâte. Une matière vivante qui se travaille à la main et qui, au contact de la peau, imprime plus qu’un dessin, des symboles.
Chaque motif porte un sens : les losanges pour la fertilité, les yeux pour se protéger du mauvais sort, les chevrons ou formes en zigzag pour symboliser l’élan et les étapes de la vie. C’est un langage discret, transmis sans mots, de mères en filles.
Lors des noces, la mariée reçoit son henné entourée de chants, de youyous, de gestes transmis depuis des générations. Ce moment n’est jamais anodin : on dit que le henné lui apporte baraka, fertilité, protection et joie pour sa nouvelle vie. Il éloigne le mauvais œil, attire les bénédictions, et marque symboliquement son entrée dans le monde des femmes mariées.
Lors des premières menstrues, certaines familles rendent encore hommage à ce passage intime à travers le henné. Un geste discret, souvent transmis entre mères, tantes et grand-mères pour accueillir la jeune fille dans le monde des femmes. On lui traçait quelques motifs, sur les doigts et parfois sur les pieds, comme un signe de reconnaissance silencieuse. Aujourd’hui, ce rituel tend à disparaître, surtout dans les milieux urbains, mais il demeure présent dans certaines régions, là où les traditions restent liées au quotidien.
Le premier jeûne des petites filles, souvent célébré dès l’âge de 7 ans, donne aussi lieu à ce rituel. On enduit les mains de henné pour souligner la dimension spirituelle du geste. Ce henné vient saluer son effort, sa pureté, sa volonté. C’est une façon de bénir ce premier lien intime avec la foi, tout en lui transmettant les codes d’une tradition collective.
Un parfum de foi
On raconte que le Prophète Muhammad (paix et salut sur lui) utilisait le henné pour soulager certains maux, notamment les douleurs aux jambes ou à la tête1. Dans La Médecine Prophétique, le savant Ibn al-Qayyim évoque également ses vertus thérapeutiques : le henné y est décrit comme un remède apaisant, cicatrisant et rafraîchissant2.
Dans certaines confréries soufies marocaines, le henné est chargé d’un sens plus profond encore. Sa couleur s’estompe avec le temps, mais ce qu’il représente — bénédiction, passage, protection — demeure. Ce caractère éphémère en fait un rappel de l’impermanence : rien ne dure, sauf l’intention. Appliquer du henné, c’est alors poser un geste silencieux de confiance. Une façon de dire : je te confie à la vie, mais aussi à Dieu3.
Une tradition aux mille dessins
Au Nord du Maroc, le henné s’applique souvent en motifs discrets, presque géométriques. Dans le Sud, on privilégie les dessins pleins, couvrants, presque sculpturaux. Dans certaines régions, il est même appliqué aux murs des maisons, ou sur les portes, pour porter chance à une nouvelle construction ou éloigner les mauvais esprits4. Et puis il y a ce geste rare : celui d’offrir du henné à un invité de passage, en gage d’hospitalité5. Comme pour dire : tu es des nôtres maintenant.
Le henné, d’hier à aujourd’hui
Aujourd’hui, le henné n’a rien perdu de sa charge symbolique. Il s’invite encore dans les mariages, dans les spas et les hammams. Des artistes en font un art à part entière, un espace d’expression, parfois même un manifeste féministe. Et même lorsqu’il se fait discret, lorsqu’on l’oublie un peu, il revient toujours. Comme un murmure ancien. Un rappel que certaines traditions, tant qu’elles font sens, ne meurent jamais.
- Sunan Abi Dawud, Hadith 3858 – Umm Salama rapporte que le Prophète utilisait du henné en cas de douleurs aux jambes ou à la tête. ↩︎
- Ibn al-Qayyim, La Médecine Prophétique, éd. Dar Al-Kutub, traduction française chez Albouraq – Le henné y est décrit comme apaisant, cicatrisant et rafraîchissant. ↩︎
- Fatima Mernissi, Le Harem et l’Occident, Albin Michel ; Emmanuelle Peyvel, “Le henné comme rituel féminin et spirituel au Maghreb”, Ethnographiques.org, 2011 ↩︎
- ⁴ Emmanuelle Peyvel, “Le henné comme rituel féminin et spirituel au Maghreb”, Ethnographiques.org, 2011 — L’autrice évoque l’usage du henné comme protection domestique et bénédiction lors des grands passages, y compris pour les bâtisses. ↩︎
- ⁵ Faouzi Skali, La Voie soufie, Albin Michel, 2007 — Le henné peut aussi, dans certaines régions du Maroc, être offert à un hôte en marque d’estime, d’intégration temporaire dans la famille ou de bénédiction symbolique. ↩︎
Khadija Dinia, aka Didije est une journaliste influenceuse qui jongle entre papier et digital, en s’inscrivant aux tendances du moment. Elle met sa plume, son regard et son coeur au service du beau, valorisant tout type de contenu.
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