ZERDA, LE FESTIN CHANTÉ QUI RACONTE LE MAROC

Plan de travail 1 ZERDA, LE FESTIN CHANTÉ QUI RACONTE LE MAROC

Il y a des chansons qui se fredonnent, d’autres qui se dégustent. Zerda, c’est les deux. Un air de Melhoun où la plume s’invite à table et chaque vers devient une bouchée de la mémoire culinaire marocaine. Fermez les yeux, sentez la cannelle, la coriandre, le miel. Vous êtes invités.


Au Maroc, une zerda est ce moment où l’on ouvre grand sa maison et où l’on fait de la place autour de la table. Mariages, naissances, fêtes religieuses… toutes les occasions commencent par une table généreusement garnie. Mais cette générosité ne se limite pas aux mets. Elle se chante aussi à travers le Melhoun1.

Le poète derrière zerda

Mohamed Ben Ali el Demnati Mesfioui, poète marocain à l'origine de Qassida "Zerda"

Écrite par Mohamed Ben Ali el Demnati Mesfioui2, Zerda en est l’un des plus beaux exemples. Ses poèmes, repris par des maîtres du genre comme Mohamed Ben Ghanem et Mohammed Trabelsi, continuent de traverser les époques, insufflant à chaque banquet l’âme du Melhoun, cette musique de la mémoire marocaine. Il repose à Chellah, mais ses vers résonnent encore dans chaque banquet où les plats racontent les souvenirs.


Le festin en chanson


Il suffit d’écouter Zerda pour avoir l’impression de feuilleter une encyclopédie de la cuisine marocaine. Chaque plat y est cité avec une précision gourmande, chaque ingrédient semble avoir sa place dans cette fresque culinaire en rimes. C’est une invitation à découvrir, plat après plat, l’âme et l’héritage gastronomique du Maroc.


ACTE 1

À celui qui sait accueillir, rien ne manque


Au Maroc, l’hospitalité n’est pas une option, c’est une fierté. Accueillir, partager, honorer l’invité : c’est la marque des grands, l’empreinte des vrais. Ce texte le clame haut et fort : la générosité ne se compte pas, elle se vit.


Ô hôte bienveillant, chez toi je viens. Accueille-moi, sans détour ni frein. Si ton cœur est noble, si ton âme est grande, Ne referme pas ta porte d’une main hésitante. – Offre-moi ton toit, que Dieu te bénisse, Car mille échos vantent ta générosité. Honore-moi, par respect du voisin. Suis la parole divine, ouvre ta main.- Dieu a ordonné d’accueillir l’invité, De chérir son voisin, de l’aider, de l’aimer. Mais l’homme avare a le cœur vide. Il erre dans l’ombre de son ignorance. Ni son père ni son oncle ne donnent, Leur nom se perd, effacé par le vent. Mais celui qui offre grave son nom. Dans le livre d’or des âmes bien-nées. – Les hommes de cœur savent qui je suis. Un amant des tables et des festins. Chaque jour, je célèbre la générosité. Et s’il le faut, jusqu’à Bagdad j’irai. Plus encore, si l’invitation vient d’un homme. Digne, loyal, au grand cœur sincère. Un homme de bien, qui ne craint l’opprobre. Qui partage et endure, l’honneur pour robe. – Jamais je ne plie sous l’injustice, Jamais je ne courbe l’échine au mépris. Alors, emmène-moi, sans crainte ni doute, Dieu récompense la main qui s’ouvre. Ne tremble pas, ne détourne pas le regard, Rien ne viendra troubler ton destin. Dis simplement : « Bienvenue chez moi ! » Et ouvre ta maison au vent du bien. – Prépare la tente, dresse la table. Que l’invité soit honoré sans comptabilité. Ce que je te dis, prends-le en fierté, Car donner, c’est régner sans trône ni or. Ton invité est ton voisin, comble-moi. Et ne vois pas cela comme un simple devoir. Accueille-moi dans ton foyer. Offre avec amour, sans trop parler.


ACTE 2

L’invité, roi du foyer


Ici, l’hospitalité ne se mesure plus, elle se vit. C’est une table qui s’emballe, des parfums qui dansent, des plats qui débordent. Le couscous fumant, le méchoui fondant, les douceurs enrobées de miel… Chaque mets raconte un Maroc où l’on reçoit avec le cœur et où donner sans compter est un honneur. Ici, la générosité est une tradition, et la table, son plus beau langage.

Sers-moi d’abord du seksou (couscous) bien fumant, dans un grand plat nappé de zebda (beurre) fondante. Que personne n’y touche avant moi ! Ajoute l’ghanmi (agneau), des légumes soigneusement préparés, et parfume le tout de zebib (raisins secs), louz (amandes) et basla (oignon) bien dorée. _ Prépare-moi une seffa (vermicelle sucrée), servie avec l’hmam (pigeon) et bien chaude. Ajoute une chaariya (vermicelle fine) parfumée et un roz (riz) crémeux au hlib (lait) pur. Et quand tu entres avec la soupe, qu’elle soit brûlante et prête à réchauffer l’âme. _ Dresse les twajen (tajines), garnis les s’houn (assiettes) sans retenue. Que tout soit abondant, généreux, à la hauteur de l’accueil. Sers-moi les bestila (pastillas), dorées et parfumées, la mhancha (pâtisserie aux amandes), parfaitement roulée et fondante. Que les baghrir (crêpes mille trous) coulent sous le miel et que le sfenj (beignets marocains) soit doré comme il se doit. _ Ajoute dix kilos de smen (beurre rance) et de assel (miel), sans compter. Ne manque pas les mkharqa (pâtisserie feuilletée), croustillantes, ni la chebbakia (gâteau au miel et au sésame), enrobée de miel. Apporte les kaab ghzal (cornes de gazelle), le ka’k (gâteau aux amandes), et les ghrayba (biscuits sablés), le tout dressé pour un festin digne de ce nom. _ Sers-moi une sauce relevée, accompagnée de khobz smid (pain de semoule) doré et croustillant. Apporte les kabab maghdour (brochettes épicées), tendres et grillées à la perfection. Mets-moi un mechoui (agneau rôti) fondant, tourné avec soin, et de la kefta (viande hachée épicée) grillée sur braise. _ Que les kouar (boulettes de viande) débordent et que le khlii maqyoum (viande séchée confite) réveille les sens ! Mais surtout, ne te retiens pas. Ne compte pas. Dis-moi simplement mrahba (bienvenue), et honore ton invité comme il se doit. Car accueillir, ce n’est pas un devoir, c’est un art.


ACTE 3

L’exigence du festin


Ici, l’auteur dresse un inventaire gastronomique monumental. Il ordonne. Son ton traduit une vérité absolue : l’hospitalité marocaine ne connaît ni mesure ni retenue. Il s’agit de combler l’invité, prouver sa grandeur à travers l’abondance. La conclusion est sans appel : recevoir, ce n’est pas réfléchir, c’est donner. Il faut que tout soit parfait, généreux, rapide, et surtout sans négligence.

Apporte-moi des twajen (tajines) de toutes sortes, avec de l’ham ghenmi (viande d’agneau) tendre à souhait. Prépare un tajine mkhadder (mijoté) avec zitoun (olives) et limoun (citron). Ajoute un autre b’mrouziya (sucré-salé), bien parfumé, avec btata (pommes de terre), left (navet), loubia (haricots) et mloukhia (corète). – Ne lésine pas sur les légumes : krounab (chou-fleur), boudenjal (aubergine), tamatem (tomate), kar’aa (courge) et lqim (courgette). Sers-moi aussi du sfarjel mqelli (coing frit) accompagné de q’nariya (chardon). – J’aime aussi le choua (grillade). Apporte-moi un khrouf m’aammar (agneau farci), cuit au four, doré et fondant, un plat qui suffira à nourrir tout le monde. Avec cinquante têtes de mouton en accompagnement et de la hargma (pieds de veau) au petit-déjeuner. – Ne manque pas le maassel (desserts confits), il faut que tout soit parfait et servi en plein jour. Dresse de grandes guess’aat (plats de service) et prépare une tchicha kerdas (bouillie d’orge épaisse), bien copieuse. Je préfère un baddaz skhoun (bouillie de semoule chaude), généreux et réconfortant. – S’il pleut, alors fais-moi une bissara (soupe de pois cassés), bien chaude, car je n’ai pas la patience d’attendre. Sers-moi des foul m’demmes (fèves cuites lentement), c’est ce que j’aime, cela réchauffe l’esprit. Et ajoute un qantar (quintal) de hammos (pois chiches), bien tendres, en gardant le reste pour plus tard. – Ne fais pas l’impasse sur le barkoukach b’halib (semoule au lait), cuit comme il se doit, selon la tradition. Avec ce plat, on apaise toutes les rancœurs. Depuis l’enfance, je ne m’en lasse pas et je ne m’en lasserai jamais. Et honore ton invité comme il se doit car accueillir, ce n’est pas un devoir, mais un art


ACTE 4

L’honneur comme loi d’hospitalité


Ce passage pousse l’art de l’hospitalité à son paroxysme. L’auteur impose un rituel précis, une organisation quasi-militaire du festin. Tout doit être pensé, dosé, diversifié, comme si l’abondance seule pouvait témoigner de la grandeur de l’hôte. Recevoir est une question d’honneur et un hôte digne de ce nom ne recule jamais.

Apporte-moi khamsin djaja (50 poulets). Avec cela, nous comblerons tous nos besoins. Remplis-en achra (10) de nawa (épices et herbes), fais dorer achra autres (dix autres) avec du smen (beurre rance). Ajoute achra autres (dix autres) avec maadnous (persil) et flafel (épices), et cuis les derniers avec du zaafrane (safran), nappés d’une sauce savoureuse. Sers-moi aussi du bibi (caille) et du wazz (oie), ainsi que fraakh mn l’hmam (pigeonneaux), exactement khamsin zwija (cinquante couples). Prépare un tajine mn z’rzour (tajine de grives), c’est un plat que j’aime au petit-déjeuner. – Ne sois pas négligent, cuisine-moi une ghzal tayba maqyouma (gazelle bien cuite et tendre). Si tu l’apportes, sois prêt à l’apprécier, mais ne t’attarde pas en paroles. Sers-moi un qniya (lièvre) bien garni de sh’ham (graisse fondante). Apporte-moi aussi du qnafed (hérisson), son goût est unique, et il a ses amateurs. Sers-moi du h’jal (perdrix) rôti, du arnab (lapin) préparé comme il se doit. Apporte achrine chabel (vingt poissons-sabres) bien cuits et assaisonnés, les autres, prépare-les frits à la perfection. Ajoute quelques ghalqa tchkar (poissons fumés), ne tarde pas trop et laisse-moi savourer. – Écoute attentivement mes paroles. Sers-moi du chargh (saumon) et du bouri (mulet cabot), ainsi que des farkh mn sb’a chbar (poissons de sept paumes de long). N’oublie pas la mirla (grive), et ajoute du sarkala maqyouma (poisson séché et préparé), prends-en achra (dix) pour varier les plaisirs. Sers-moi du qrab (crabe) et du noun (thon), un festin digne des marins. N’oublie pas le mahrar (poisson épicé), il me réchauffera si le froid me gagne. Apporte-moi du sardil inqla (sardine frite) et fais-la griller sur des braises ardentes. Ne traîne pas, sois rapide et assure-toi que tout soit prêt, sans négliger le moindre détail.

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ACTE 5

Entre gratitudes et bénédictions


Après l’abondance du festin, vient le temps du thé et des douceurs. Fruits juteux, dattes fondantes, amandes croquantes, ultime caresse au palais. Mais un repas ne se termine jamais sans une pensée pour celui qui donne et celui qui reçoit. Ici, l’auteur savoure, bénit, et remercie. Que la prospérité demeure, que l’hospitalité ne s’éteigne jamais, que Dieu accorde sa grâce à tous ceux qui honorent l’art du partage. Un festin réussi n’est pas seulement un festin bien servi, c’est un festin béni.

Apporte-moi toutes sortes de chlayed moulati (assortiments de salades) pour ravir mon palais, et prépare aussi des trakeds f lekhloul mhamda (marinades légèrement acidulées). Sers-moi un grand plat de ineb (raisins) et charge bien en dellah (pastèque). Apporte un battekh kbir (melon bien gros), ainsi que du fekouss (concombre) et des lingass (poires). _ Ajoute du mechmach (abricots), accompagné de teffah (pommes), comme celles que l’on sert aux grands banquets du Cham (Levant). Tout ce qui est disponible, je le veux devant moi. Apporte-moi du kermoss n’sara (figues européennes) et du tin (figues marocaines). Le remman (grenade) a cette saveur exquise qui me ravit. _ Ajoute du barkouk (pruneaux), mais qu’ils soient bien mûrs et sucrés. Chaque jour, qu’un qantar (quintal) de ces fruits arrive à ma table. Sers-moi aussi des tmar (dattes), deux qantarin (quintaux) aux mille nuances. Ajoute guergaâ (noix), accompagné de louz (amandes) et de zebib byed (raisins secs blancs). N’oublie pas l’mouz (bananes). – Sers-moi du gouz mn blad l’hnoud (noix de coco), ainsi que du belout et du qostal (châtaignes grillées). Et pour clore ce banquet, apporte-moi une ch’rab tayyeb l’halal (boisson pure et licite). Prépare-moi du chay (thé), avec des qwaleb skkar (morceaux de sucre raffiné). -Ainsi se termine mon festin. Que Dieu me pardonne si ma langue a dévié. Je prie le Seigneur de nous bénir et que la prospérité ne nous quitte jamais. Ceci est la fin de ma demande, que celui qui l’entend la prenne à cœur, car elle est précieuse et raffinée, difficile à saisir pour les âmes ignorantes. – À ceux qui s’y opposent, qu’ils sachent que mon verbe est tranchant comme l’épée. Si un homme tombe entre mes mains, il sera coupé net, sans hésitation. Celui qui me renie aujourd’hui, un jour se souviendra de moi. Celui qui parle avec arrogance ne fera que révéler sa faiblesse. Et si un faucon siffle, tous les autres oiseaux se tairont dans la vallée.

Paix aux nobles esprits, à ceux qui enseignent et à ceux qui prient.
À la lignée bénie de oulad Fatima-Zahra (fille du Prophète ﷺ).
À Ibn Aali Mesfioui, grand maître de la parole et de la poésie.
Au noble élu, notre Prophète Sidna Mohammed Lehabib, couronne de dix générations. – Que la paix et la bénédiction soient sur lui, tous les jours et pour l’éternité. – Que Dieu, le Tout-Puissant, lui accorde grâce, autant de fois qu’il a créé d’âmes sur terre.

La prochaine fois que vous serez invités à une grande table, dans le parfum du safran et le bruit des cuillères, il y aura peut-être un écho du Melhoun… après tout, un festin comme celui-là, ça se vit et ça se chante.


Notes

  1. Poésie populaire née entre le 15ᵉ et le 16ᵉ siècle. Les poètes laissaient leur plume raconter les émotions, les coutumes et les chroniques du quotidien. ↩︎
  2. Né à Safi en 1863, ce poète et lettré a marqué son époque avec plus de 1000 qasidas, mêlant traditions, culture et art de vivre marocain. ↩︎
Photo EDITO DIDIJE ZERDA, LE FESTIN CHANTÉ QUI RACONTE LE MAROC
Rédactrice en Chef à Myluxurylife | kdinia@gmail.com |  Plus de publications

Khadija Dinia, aka Didije est une journaliste influenceuse qui jongle entre papier et digital, en s’inscrivant aux tendances du moment. Elle met sa plume, son regard et son coeur au service du beau, valorisant tout type de contenu.

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