Savez-vous à qui nous devons l’art et les bonnes manières ? Qui a inventé la soupe en début de repas et le dessert à la fin ? Qui a créé l’utilisation du dentifrice… et plus encore ? Zyriab, un nom qui résonne… mais pas assez ! Voici son histoire.
En l’an 820, par une longue et froide nuit d’hiver, un jeune poète et musicien surnommé Zyriab, quitta Bagdad pour créer et diffuser ce que l’on appellerait aujourd’hui, l’art de vivre et les bonnes manières. Plus encore, il influença notre façon de nous habiller, manger, socialiser, écouter de la musique et danser. Autant le dire, Zyriab exerça une profonde influence sur la société médiévale européenne.
Zyriab, l’enfant prodige de Bagdad
Zyriab étudiait la musique sous la houlette de Maître Ishaq Al Mawsili, un célèbre musicien et chanteur qui fréquentait la cour royale du souverain Haroun Ar-Rachid. Pour l’histoire, Haroun Ar-Rachid succéda à son frère aîné, suite aux intrigues de sa mère, la terrible esclave yéménite Khayzourane qui n’hésita pas à empoisonner son propre fils pour qu’il cédât le trône à son favori, Ar-Rachid
Passionné par la musique, le calife se plaisait à convier les meilleurs chanteurs et musiciens afin de divertir ses hôtes. Maître Ishaq Al Mawsili, musicien en chef de Haroun Ar-Rachid avait pour mission d’initier les jeunes talents pour la cour. Parmi ses jeunes disciples, Zyriab avait une bonne oreille. De plus, Zyriab connaissait par cœur des centaines de chansons. Fier du talent de son apprenti, le professeur en fit part au souverain qui demanda à l’écouter.
Zyriab fut donc appelé pour chanter devant son calife. Lorsque celui-ci s’adressa à lui, le jeune homme répondit de manière si distinguée qu’il attisa la curiosité du souverain :
– D’où tiens-tu autant de grâce, lui demanda t’il.
A ceci, Zyriab répondit :
– Ô Calife, je pourrai vous interpréter ce que d’autres chanteurs connaissent, cependant mon répertoire est également constitué de chansons qu’il ne convient d’interpréter que devant votre majesté. Les autres chanteurs ne connaissent pas ces chiffres et si vous me le permettez, je vous fais écouter ce qu’aucune oreille humaine n’a entendu auparavant.
Haroun ordonna à Zyriab de jouer. Le jeune homme interpréta une chanson qu’il avait lui-même composée. Très impressionné, il se tourna vers Al-Mawsuli et lui dit :
– Si je pensais que vous m’aviez caché les capacités extraordinaires de ce jeune homme, je vous aurais puni de ne pas m’en avoir informé. Poursuivez donc son instruction jusqu’à ce qu’elle soit terminée !
Se sentant humilié par son disciple qui lui avait dissimulé son talent, le professeur se prit d’une terrible colère. Craignant que l’élève ne le surpasse et qu’il le remplace auprès du Calife, il prit Zyriab en aparté pour lui dire :
– Jamais je ne pourrais pardonner une telle humiliation à un homme, pas même à mon propre fils. Si je n’avais pas un peu d’affection pour toi, je n’aurai pas hésité à te tuer, peu m’importent les conséquences. Maintenant, tu as deux choix. Soit tu quittes Bagdad dès ce soir, tu t’installes très loin d’ici et tu jures que je n’entendrai plus jamais parler de toi. Si tu es d’accord, je te donnerai assez d’argent pour répondre à tes besoins. Soit si tu décides de rester mais je te préviens, que je risquerai ma propre vie et tout ce que je possède pour t’écraser. Fais ton choix !
Zyriab n’hésita pas une seconde. Il prit l’argent et quitta la capitale abbasside.
Quand Haroun Ar-Rachid demanda à revoir Zyriab, Ishaq lui expliqua que son protégé était mentalement déséquilibré. Qu’il avait quitté Bagdad sur un coup de colère parce que le calife ne lui avait pas fait de cadeau.
– Croyez moi mon seigneur, le jeune Zyriab est possédé. Il est sujet à des accès de frénésie qui sont horribles à voir. Il croit que les djinns (esprits) lui parlent et inspirent sa musique. C’est un être maléfique et il est si hargneux, qu’il croit que son talent est inégalé par personne dans ce bas monde. Je ne sais pas où il est maintenant. Soyez heureux, Votre Majesté, qu’il soit parti !
De Baghdad à Cordoue
Zyriab et sa famille fuirent Bagdad vers l’Égypte. Ils traversèrent l’Afrique du Nord jusqu’à Kairouan, dans l’actuelle Tunisie. Mais ses yeux étaient rivés sur l’Espagne.
Sous le règne des Omeyyades, Cordoue tendait à devenir un joyau culturel rivalisant avec Bagdad. Ayant eu vent de cela, Zyriab comprit que cette ville serait le cadre propice pour faire valoir ses talents. Il envoya donc une missive à Al Hakam, souverain de l’émirat d’Al-Andalus, lui offrant ainsi ses services. Ravi à l’idée d’avoir un musicien de Bagdad dans sa cour, Al Hakam invita l’artiste qui dès lors, entreprit le voyage. Avec sa famille, ils se dirigèrent par voie terrestre jusqu’au détroit de Gibraltar. A partir de Kasr Al Majaz, près de Tanger, ils embarquèrent sur un navire qui les emmena à Algéciras.
Cordoue, an 822
Lorsque Zyriab arriva en Espagne à l’âge de 33 ans, il fut choqué d’apprendre que Al Hakam avait rendu l’âme. Dévasté par tant d’infortune, le jeune musicien voulut retourner en Afrique du Nord. Mais grâce à la recommandation élogieuse de Abu al-Nasr Mansur, musicien juif de la cour royale, Abd Er-Rahman II, renouvela l’invitation faite à Zyriab par son défunt père.
Après une rencontre avec le virtuose de Bagdad, le jeune sultan lui fit une offre fort attrayante. Zyriab recevrait un salaire de 200 pièces d’or par mois, 500 pièces d’or en été, 1000 pièces d’or lors du nouvel an et à chacune des deux grandes fêtes islamiques. Il lui serait également donné 200 boisseaux d’orge ainsi que 100 boisseaux de blé chaque année. Il recevrait un modeste palais à Cordoue ainsi que plusieurs villas avec des terres agricoles productives dans les campagnes environnantes. Naturellement, Zyriab accepta, et devint du jour au lendemain, un membre prospère de la haute société cordouane et de l’Espagne islamique.
En recrutant le jeune musicien, Abd Er-Rahman II avait pour objectif d’importer la culture et le raffinement de Bagdad dans le rugueux pays d’Al-Andalus, ouest sauvage du monde arabe et ancienne terre gothique des barbares wisigoths. De même qu’il est tout aussi vrai qu’en ce temps-là, la dynastie était un pôle d’attraction pour les scientifiques, artistes et savants de toutes origines.
Quand Abd Er-Rahman entendit les chansons de Zyriab, les contemporains dirent que le souverain était tellement captivé qu’il ne voulut plus jamais écouter un autre chanteur. Dès lors, le sultan et Zyriab devinrent très proches. Ils passaient beaucoup de temps à discuter de poésie, d’histoire, d’art et de sciences. Zyriab servit le souverain Omeyyade tel un ministre de la culture du royaume Al Andalus et un de ses premiers projets, fut de fonder une école de musique, qui ouvrit ses portes non seulement aux talentueux fils et filles des classes supérieures, mais aussi aux artistes des classes inférieures de la cour. Contrairement à la rigidité des conservatoires de Bagdad, l’école de Zyriab encourageait l’expérimentation de nouveaux styles musicaux et divers instruments. Il créa les règles régissant l’exécution des Nouba, une importante forme de musique andalouse arabe qui persiste de nos jours dans la musique classique d’Afrique du Nord. Connue sous le nom Maluf en Libye, en Tunisie et en Algérie orientale, et tout simplement comme musique andalouse au Maroc.
L’oeuvre musicale de Zyriab
Zyriab créa 24 Noubas, une pour chaque heure de la journée. Il a également été dit que Zyriab donna une âme au luth en lui ajoutant une paire de cordes rouges entre la deuxième et la troisième ligne. Il accrut sa sensibilité en utilisant un onglet fait de griffe d’aigle ou plus souple en utilisant la plume d’oie, plutôt que l’onglet traditionnel en bois. Cette innovation se répandit rapidement, si bien qu’aucun musicien qualifié de Cordoue n’envisageait de toucher encore les cordes de son luth avec du bois.
De l’art de la table
Par ailleurs, Zyriab révolutionna l’art de la table en créant de nouvelles règles et une étiquette… toujours d’actualité. En effet, avant Zyriab, la cuisine espagnole héritée par les Wisigoths et les vandales, se composaient de divers aliments entassés sur des tables en bois, nues de couverts. Tous les aliments étaient consommés en même temps, sans règles, ni tenue de table, aucunes.
Avec l’arrivée de Zyriab, viandes, poissons, volailles, légumes, fromages, soupes et sucreries, alors disponibles en andalousie, donnèrent naissance à des recettes plus créatives, inspirées par les mets les plus en vogue à Bagdad. Il réinventa les boulettes de viande accompagnées de petites pièces triangulaires frites dans de l’huile de coriandre. Il ravit les papilles de la cour en faisant d’une mauvaise herbe de printemps, humblement appelée asperge, un légume de dîner. Il conçut un certain nombre de délicieux desserts, dont l’inoubliable cocktail de noisettes, servi aujourd’hui encore dans la ville de Saragosse. Avec la bénédiction de l’émir, Ziryab décréta que les dîners au palais seraient servis selon une séquence fixe. Ils commença par les soupes, continua avec le poisson, volaille ou viande et conclut avec des fruits, desserts sucrés et bols de pistaches et autres fruits secs. Cet ordre de service n’avait encore jamais été vu auparavant, pas même à Bagdad ou à Damas. Ces nouveaux codes gagnèrent progressivement en popularité, se répandirent dans les classes supérieures dirigeantes, chez les riches marchands puis chez les chrétiens, les juifs et jusque dans la paysannerie. Finalement cette coutume devint une règle dans toute l’Europe.
D’ailleurs, la fameuse expression anglaise from soup to nuts remonte aux innovations apportées par Zyriab à la table de Al Andalus et indique un somptueux repas, composé de plusieurs plats. Par la suite, Zyriab enseigna aux artisans locaux la décoration des tables à manger. Il remplaça les lourds gobelets en or et en argent (héritage des Goths et des Romains) par du cristal finement ciselé. Et pour finir, il mit fin à l’encombrante et indélicate cuillère en bois qu’il remplaça par un modèle plus fin et délicat.
Les nouvelles tendances beauté
D’un autre côté, Zyriab porta son attention sur les soins du corps et de la mode. Il inventa le premier dentifrice en Europe, popularisa le rasage pour hommes et lança de nouvelles tendances en coupes de cheveux.
Avant Zyriab, la royauté et la noblesse nettoyaient leurs vêtements avec de l’eau de rose. Il améliora le processus en introduisant l’utilisation du sel. Pour les femmes, Zyriab ouvrit un salon de beauté et une école de cosmétologie non loin de l’Alcazar, palais de l’émir. Le moment était donc venu pour que ces femmes se débarrassent enfin de leurs longues tresses qui leurs tombaient sur le dos. Fini aussi la raie au milieu et les oreilles couvertes. Zyriab créa des coiffures très osées pour l’époque. Il commença par couper court les cheveux, dévoila les oreilles et inventa la célèbre frange sur le front. Il leur apprit l’art de donner une forme aux sourcils, introduisit l’épilation dans la routine de beauté et lança la mode de nouveaux parfums et cosmétiques.
Maître du style, de la mode et des loisirs
Inspirés par l’élite sociale des cercles de Bagdad, Zyriab harmonisa la façon de s’habiller dans la cour. Il décréta le premier calendrier de la mode saisonnière en Espagne. Au printemps, hommes et femmes devaient porter des couleurs vives. Il introduisit aux tissus traditionnels, des vêtements en soie colorée. En été, la couleur blanche devenait une règle. En hiver, il recommanda de longues capes doublées de fourrure.
Plus tard, Zyriab facilita l’arrivée d’astrologues et de médecins juifs d’Afrique du Nord et d’Irak. Il encouragea la propagation du savoir en astronomie. Il fit venir des indiens pour enseigner les échecs aux membres de la cour royale. Et c’est ainsi que le jeu se répandit dans toute la péninsule ibérique et… dans le reste de l’Europe.
Famille d’artistes
En 852, quand Abd Er-Rahman II rendit l’âme, il est dit que Ziryab l’innovateur succomba à son tour cinq ans plus tard. En plus de maintenir en vie ses inventions musicales, ses enfants en assurèrent leur transmission dans toute l’Europe. Chacun de ses huit fils et deux filles poursuivirent une carrière musicale. Le chanteur le plus populaire était Ubayd Ziryab Allah bien que son frère Qasim avait une plus belle voix. Ses filles étaient tout aussi talentueuses. La meilleure artiste était Hamduna dont la renommée se traduisit par un mariage avec le vizir du royaume et la meilleur des professeurs était Ulaiya, la plus jeune de la fratrie.
En 852, quand Abd Er-Rahman II rendit l’âme, il est dit que Zyriab l’innovateur succomba à son tour cinq ans plus tard. En plus de maintenir en vie ses inventions musicales, ses enfants en assurèrent leur transmission dans toute l’Europe. Chacun de ses huit fils et deux filles poursuivirent une carrière musicale. Le chanteur le plus populaire était Ubayd Zyriab Allah bien que son frère Qasim avait une plus belle voix. Ses filles étaient tout aussi talentueuses. La meilleure artiste était Hamduna dont la renommée se traduisit par un mariage avec le vizir du royaume et la meilleur des professeurs était Ulaiya, la plus jeune de la fratrie.
L’après Zyriab
Lorsque Abd Er-Rahman II et Zyriab quittèrent la scène, Cordoue s’affirma comme capitale culturelle et siège de l’érudition. Quand Abd Er-Rahman III prit le pouvoir en 912, la ville était devenue le centre intellectuel de l’Europe. Elle n’avait pas de semblable. Des étudiants venaient de France, d’Angleterre et du reste de l’Europe pour y apprendre les sciences, la médecine et la philosophie. Ils avaient à leur disposition la grande bibliothèque municipale, dotée de plus de 600.000 ouvrages. En revenant vers leurs pays d’origine, ces jeunes diplômés embarquaient en plus de leurs connaissances acquises, l’art de la musique, de la cuisine, de la mode et des mœurs. Ainsi, l’Europe était inondée par ces nouvelles tendances et coutumes.
Lorsque l’on se demande aujourd’hui, pourquoi Zyriab est si peu _ou pas assez_ connu du grand monde, tout laisse à croire que la langue arabe n’était alors utilisée que dans la cour royale de l’empire arabe en Espagne. Le reste de la population parlait plutôt amazigh, castillan ou Aamma (darija d’Afrique du nord). Mais il n’en demeure pas moins que ses codes font encore partie de notre quotidien.
Khadija Dinia, aka Didije est une journaliste influenceuse qui jongle entre papier et digital, en s’inscrivant aux tendances du moment. Elle met sa plume, son regard et son coeur au service du beau, valorisant tout type de contenu.
Né à Agadir en 1968, Rachid est un architecte qui a beaucoup écrit sur l’urbanisme et l’architecture. Mais sa passion pour l’écriture et son esprit d’analyse lui ont valu d’être publié dans plusieurs médias tels que le Maroc-Diplomatique, L’Économiste, La Vie Économique, Maroc-Hebdo, Aujourd’hui le Maroc ou encore la Revue Marocaine des Sciences Politiques. Son autre passion ? Raconter l’histoire du Maroc… et la partager… avec nous.
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