Depuis les recoins préservés de Chiadma, une tradition ancienne et mystique prend vie chaque année au printemps. Celle des Regraga, les gardiens de la baraka.
Au cœur des terres de Chiadma, entre Safi et Essaouira, réside une tradition ancienne et mystique qui prend vie chaque année au printemps. C’est l’histoire des Regraga, sept hommes d’origine berbère, élevés dans la foi chrétienne, qui un jour entendirent parler d’un homme extraordinaire prêchant la parole de Dieu à La Mecque. Animés par une quête spirituelle profonde, ils décidèrent de partir à la rencontre du Prophète Mohammed, ignorant que leur voyage allait donner naissance à l’une des traditions les plus riches et les plus profondes du Maroc.
Le voyage des 7 Saints
Leur voyage fut long et semé d’embûches, mais leur foi et leur détermination étaient inébranlables. Arrivés à la Mecque, la légende raconte qu’il furent émerveillés par la sagesse et la grandeur du Prophète Mohammed. Touchés par ses enseignements, ils embrassèrent l’islam, trouvant en cette nouvelle religion la réponse à leurs quêtes spirituelles.
Fatima et les Regraga
À leur grande surprise, le Prophète comprit la langue berbère dans laquelle ils s’exprimaient. Cependant, sa fille Fatima, ne parvint à comprendre aucun mot de cette langue inconnue, qu’elle désigna du terme « Rejraja », équivalent de « bredouillis ». Le Prophète sourit et dit à sa fille :
« Tu viens de leur donner leur nom ».
Il confia ensuite aux sept hommes une mission sacrée : retourner dans leur pays et y apporter l’islam. Les sept saints, honorés par cette tâche divine, obéirent et revinrent porteurs d’un oracle de la part du Prophète de l’Islam.
Architectes et gardiens de la foi
Les tribus embrassèrent l’islam en grand nombre et chaque année, les sept saints parcouraient les tribus régionales afin de s’assurer de leur foi, instaurant ainsi la tradition du Daour.
Depuis, les descendants de ces 7 saints ont maintenu la coutume de génération en génération. Avec le temps, de nombreux usages se sont ajoutés à cette pratique ancestrale.
Les 13 étoiles de la confédération
Le Daour se déploie tel une marche sacrée qui unit les cœurs et les âmes des Regraga. Chaque pas est une prière et chaque rencontre, un partage, créant un lien profond entre les participants. Au sein de cette communauté spirituelle, les Regraga se répartissent en treize zaouïas (confréries), éparpillées à travers la région des Chiadma : Akarmoud, Ait Sidi Baâzzi, Retnana, Taourirte, Boulaâlam, Talmeste, Tikten, Ahgissi, Marzoug, Mramer, Loukrate, Mzilate et Sekiyate.
Ces terres, foyers de tribus arabophones dont les racines plongent profondément dans le sol berbère, brouillent les frontières entre berbérité et arabité.
L’éclat d’Akarmoud
Au sein de la confédération, émergent deux piliers fondamentaux, porteurs de traditions et symboles sacrés : la Taïfa et la Khaïma.
Dans les terres anciennes et mystiques de Chiadma, se trouve la zaouia de Akarmoud. S’élevant au-dessus des collines, elle abrite trois tombeaux des 7 saints fondateurs des Regraga. Au sein de cette Taïfa, le moqaddem, également gardien de la zaouïa se distingue. Vêtu de blanc et monté sur une jument blanche, il incarne la pureté et la dévotion. Appelé Laâroussa (mariée) en période de pèlerinage, son nom résonne dans le cœur des fidèles comme un symbole de respect et d’honneur. Ce rituel rappelle un autre rituel de pluie, appelé taghunja, observé chez les Berbères.
La légende de Taghnunja
Anzar, dieu berbère du ciel et de la pluie, serait, un jour, tombé follement amoureux d’une belle paysanne. Se transformant en aigle, il vint la contempler se baignant dans une rivière. Un jour, il lui parla et lui demanda de l’épouser, mais la jeune fille effrayée refusa la demande et s’enfuit.
Anzar retint toute sa pluie et la sécheresse menaça le pays. Les paysans organisèrent des processions et demandèrent la clémence d’Anzar. La jeune paysanne accepta de le suivre et de vivre avec lui. Depuis lors, lorsque qu’il pleut, la légende dit qu’elle apparaît dans le ciel, sous la forme d’un arc-en-ciel, appelé « Tislit n Unzar« , l’épouse d’Anzar.
Cette tradition perdure au début de l’automne pendant la saison des labours. Les villageois portent une grande poupée symbolisant la fiancée et une louche « Taghnunja » symbolisant le réceptacle de l’eau bienfaisante. Les femmes décorent cette cuillère en bois des atours d’une fiancée et, accompagnées des enfants, marchent en procession dans les villages au rythme de chants et invocations à la gloire de la pluie : « O Taghonja, O mère d’espérance ! O Dieu apporte la pluie »
A tggunja, A morrja ! A Rabbi auwi-d anzar
La tente unificatrice
Dans un écrin de spiritualité, la Khaïma unit la confédération des Regragas. Portée par un dromadaire, elle trône au centre du souk, réunissant les moqaddems qui y prennent place en cercle, orchestrant leurs rituels avec solennité. Au pied du pilier central, une grande caisse en bois recueille les dons et les offrandes, reflets de la générosité et de la ferveur des pèlerins.
Guidés par leurs cœurs et leurs coutumes, les fidèles viennent visiter soit la Taïfa, soit la Khaïma. Souvent, le groupe de la Taïfa ouvre la marche, tandis que les adeptes de la Khaïma, s’arrêtent plus fréquemment et n’arrivent que quelques heures, voire une journée, après ceux de la Taïfa.
L’odyssée des Regraga
Enraciné dans les croyances et les cycles de la terre, le pèlerinage des Regraga débute avec l’arrivée du printemps. Chaque année, le premier jeudi suivant l’équinoxe marque le point de départ de cette marche sacrée. Contrairement aux coutumes islamiques habituelles qui suivent le calendrier lunaire, les Regraga se guident par le calendrier solaire, s’alignant sur les rythmes de la nature plutôt que sur les phases de la lune.
Leur périple les mène autour de la montagne de fer, le djebel Hadid. Ce n’est pas une simple circumambulation ; c’est un entrelacement de boucles et de chemins qui s’ouvrent devant eux, un hommage à leurs saints. En 39 jours, ils parcourent près de 460 kilomètres, avec des étapes qui varient considérablement, certaines ne demandant que quelques pas, d’autres s’étendant sur des dizaines de kilomètres. Leur voyage est ponctué de 44 à 51 étapes, comprenant les visites aux Kubbas, pauses-prières dans les mosquées, échanges dans les souks et moments partagés avec les familles qui les accueillent.
Une tradition réinventée
Les Regraga font face aux caprices du temps, aux vents qui portent les échos de l’histoire, aux pluies qui transforment les sentiers en chemins de réflexion, et au soleil qui teste leur endurance. Certains font le choix de la marche, s’imprégnant de chaque expérience comme une leçon de vie, tandis que d’autres, lorsque nécessaire, se tournent vers les moyens de transport modernes pour relier les différents moussems.
Chaque Regragui décide de son propre chemin, que ce soit dans la solitude de la marche ou dans le partage des voyages en commun, honorant ainsi les anciens tout en s’adaptant aux nécessités du présent. Et c’est dans cette rencontre entre la tradition et l’adaptabilité, entre les arrêts planifiés et les détours inattendus, que les Regraga tissent une riche tapisserie de foi, de communauté et de persévérance, concluant chaque journée par l’accomplissement de l’arrivée à l’étape tant espérée.
Les gardiens de la Baraka
Les Regraga exercent leur influence à travers les bénédictions (fatha) qu’ils dispensent à ceux qui les visitent. Les demandes sont variées, allant de la protection à la réussite, en passant par la santé et la fertilité. Cependant, ils n’hésitent pas à proférer des malédictions lorsque cela est jugé nécessaire ou en réponse à un tort déjà commis. Pendant le daour, ils exercent un pouvoir temporaire, gérant les affaires internes et résolvant les problèmes sans intervention des autorités officielles, sauf en dernier recours.
En échange de ces bénédictions, les visiteurs offrent différentes formes de dons : hébergement, nourriture et dons en argent, appelés ziyâra. Cette dernière forme d’offrande est partagée quotidiennement entre les zaouïas, puis répartie entre les membres de chaque groupe présent. Bien que la somme totale puisse atteindre plusieurs milliers de dirhams par jour, la part individuelle des Regraga ne dépasse jamais quelques dirhams.
Le contexte du pèlerinage est principalement rural, à l’exception de l’étape à Essaouira. Les Regraga bénissent les gens ainsi que les champs, ce qui est lié à l’idée de la caprification, où ils apportent des bénédictions pour la fertilité des terres. Leur passage marque l’arrivée du printemps, mettant fin à l’hiver, symbolisant le renouveau et la renaissance cyclique de la nature. Le Moqadem de la Taïfa est particulièrement lié à la pluie, essentielle pour les récoltes, et son titre de « Laâroussa » (la mariée) symbolise la relation entre l’homme et la nature, contredisant les normes traditionnelles selon lesquelles la pluie est souvent associée à des divinités ou à des figures féminines. D’ailleurs, cette relation entre mariage et pluie rappelle un ancien rituel berbère appelé tarunja, où une poupée blanche était utilisée pour appeler la pluie. Enfin, la sécheresse est perçue comme la conséquence d’une baisse de fidélité envers les Regraga, et le retour des pluies est vu comme une récompense pour leur dévotion.
La niya dans la guérison
Dans la tradition des Regraga, la baraka est un pouvoir sacré qui transcende le temps. Ces pèlerins, au-delà de leur voyage physique, portent en eux une force de guérison ancestrale. À chaque saint correspond un domaine de guérison spécifique, un savoir transmis de génération en génération. Par exemple, Sidi Ali Maâchou est réputé pour guérir la rage, tandis que Sidi Abdallah ou Sidi Ahmed sont invoqués pour combattre le cancer. Ces miracles de guérison, témoignages vivants de la puissance des Regraga, perdurent encore de nos jours.
Ce qui distingue les Regraga des autres confréries marocaines, c’est leur approche sobre et pieuse. Ils n’ont pas de rituels extravagants ni de musiques extatiques ; leur baraka, leurs prières et leur piété suffisent à dissiper les maux. La baraka, c’est aussi la force de l’intention juste (niya) en islam. Pour recevoir la guérison, le demandeur doit avoir cette intention pure, sans laquelle aucun remède n’est possible. Ainsi, la niya devient une clé essentielle de la thérapie des Regraga, une force qui transcende les simples gestes pour toucher l’essence même de la guérison.
Une dimension festive
Dans les ruelles étroites des souks, sous les étals colorés qui débordent de produits, les Regraga perpétuent leur tradition immuable. Chaque étape de leur périple, des villages endormis aux grandes cités, vibre au rythme de la Safia, une journée préparatoire où le commerce se mêle aux préparatifs festifs.
Les Regraga, porteurs d’antan et de demain, sont le symbole d’une ville mouvante qui s’éveille et s’endort au gré des sanctuaires visités. Leurs rencontres se font fêtes, leurs haltes se transforment en kermesses où se mêlent jeux, rires et spectacles. Les moussems deviennent alors des scènes de vie, des lieux où les cœurs battent à l’unisson et où les visages s’illuminent de joie.
Symbole de prestige spirituel
Parfois appelée hajj al-maskîn (le pèlerinage du pauvre), le pèlerinage des Regraga résonne comme un écho au grand pèlerinage des musulmans. Pour beaucoup de Marocains, incapables de se rendre à La Mecque, le Daour des Regraga est une promesse, un espoir. On dit que celui qui accomplit plusieurs fois ce pèlerinage équivaut à faire un hajj.
Ces sept saints qui continuent à guider les pas des Regraga s’appelaient Sidi Ouasmine, Sidi Said Essabek, Sidi Aissa Boukhabiya, Sidi Yaala, Sidi Saleh, Sidi Boubker Achemasse et Sidi Aissa Mouloutad. Leur mémoire reste vivante, leur influence perdure.
Khadija Dinia, aka Didije est une journaliste influenceuse qui jongle entre papier et digital, en s’inscrivant aux tendances du moment. Elle met sa plume, son regard et son coeur au service du beau, valorisant tout type de contenu.
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