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KHARBOUCHA, L’HISTOIRE D’UNE CHEIKHA ENGAGÉE

KHARBOUCHA, L’HISTOIRE D’UNE CHEIKHA ENGAGÉE

KHARBOUCHA LHISTOIRE DUNE CHEIKHA ENGAGEE KHARBOUCHA, L'HISTOIRE D'UNE CHEIKHA ENGAGÉE
Rédactrice en Chef à Myluxurylife | kdinia@gmail.com | Plus de publications

Khadija Dinia, aka Didije est une journaliste influenceuse qui jongle entre papier et digital, en s’inscrivant aux tendances du moment. Elle met sa plume, son regard et son coeur au service du beau, valorisant tout type de contenu.

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Né à Agadir en 1968, Rachid est un architecte qui a beaucoup écrit sur l’urbanisme et l’architecture. Mais sa passion pour l’écriture et son esprit d’analyse lui ont valu d’être publié dans plusieurs médias tels que le Maroc-Diplomatique, L’Économiste, La Vie Économique, Maroc-Hebdo, Aujourd’hui le Maroc ou encore la Revue Marocaine des Sciences Politiques. Son autre passion ? Raconter l’histoire du Maroc… et la partager… avec nous.


En 1895, une femme du nom de Hadda Al Ghaîtia, surnommée Kridda (cheveux crépus), s’est mise en tête de s’attaquer à l’un des hommes les plus puissants du Maroc. Destin de femme.


Dans la région des Abda, vivait Kharboucha, une poétesse engagée qui excellait dans l’art de la Aïta. En ce temps et aujourd’hui encore, au même titre que le Malhoune ou l’Ahidouss, les chants poétiques de la Aïta font partie de l’identité culturelle du Maroc. D’ailleurs, comme nous le rappelle Hassan Najmi, auteur du livre « Al-aïta, poésie orale et musique traditionnelle au Maroc », les Saâdiens contribuèrent fortement dans l’épanouissement de la Aïta. Portés par la musique, ils en assouvissaient le désir en toutes circonstances, même dans les deuils.

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Féru de musique, le sultan Moulay Hassan Ier encourageait toutes les expressions culturelles, en particulier la Aïta, qu’il hissa au rang du Malhoune et de al’ala. Grâce à cet engouement royal, des grands noms de cheikhates (littéralement, savantes), furent révélés. Ainsi apparurent Lahouija, Al Idrissia, Massouda Rbatia, Habiba Rbatia ou encore, Aïcha Larbi, Tajina. Mais la favorite du Sultan demeurait sans contexte, Tounia Lmarrakchia.

cheikhakharboucha
Sultan Moulay Hassan 1er

Après la succession en 1894 du sultan Moulay Abdelaziz, alors âgé de 14 ans, des circonstances particulières conduisirent le , alias Ba Hmad à assumer la régence durant plusieurs années. Aussi, faut-il savoir que le Maroc se divisait en deux grandes zones. Tandis que le bled Makhzen, cantonné aux principales villes et périphéries, obéissait au pouvoir central, l’autre zone, appelée Bled Siba, se composait de vastes territoires insoumis. A la tête de ces territoires, caïds et puissants chefs de tribus guerrières, se soumettaient épisodiquement au pouvoir du Makhzen, et ce, au gré de leurs intérêts. À cette époque les sultans se rendaient souvent en campagne pour guerroyer contre les tribus rebelles et calmer les velléités d’indépendance des tribus soumises. Après le décès de Moulay Hassan 1er, une période d’instabilité s’était installée dans les tribus des Abda, Doukkala et Rehamna. Injustement exploitées, des Caïds locaux se rebellèrent contre leurs oppresseurs.


Un caïd en puissance


Les Abda se composaient de plusieurs fakhds (branches tribales), parmi les plus importantes, on comptait les fakhd des Bhatra, les fakhd des Rbia et les fakhd des Amer. En effet, le territoire des Abda était immense. Il s’étendait de Safi au sud de Marrakech, il comptait le nord de Casablanca et la périphérie d’El Jadida.  Aux commandes de cette immense contrée, Aissa Ben Omar Al Abdi avait hérité son titre de caïd, après la mort de son frère en 1879. Au départ, il était caïd des Bhatra, mais à force de razzias, de guerres fratricides et de pillages, il finit par étendre son pouvoir sur l’ensemble des tribus de Abda. Pour avoir la paix, le caïd Aissa Ben Omar Al Abdi récoltait et doublait chaque année l’impôt réclamé par le Makhzen. À son profit, il gardait une grosse part du butin, ne reversant qu’une infime partie au pouvoir central.

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Craint par tous les notables de la région et fort d’une immense fortune injustement récoltée, Aissa a vite exhibé sa soif du pouvoir en monopolisant les meilleurs pâturages et en entretenant une cour à l’image même de celle des sultans. En effet, Fatna, son épouse, issue du sérail du défunt Moulay Hassan Ier, était à l’origine de l’introduction des traditions makhzéniennes.


La tribu de Kharboucha


Lassés de devoir payer trop d’impôts en comparaison aux autres fakhds des Abda, la tribu des Ouled Zaid enclencha une révolte contre l’autorité du caïd en 1895. Après plusieurs combats, le caïd Aissa commença à perdre beaucoup de ses hommes et ce, malgré les renforts en armes qu’il recevait du Makhzen. Alarmé par la situation et étonné par la force de frappe de la tribu originaire de Safi, dont le port représentait un important enjeu dans les échanges commerciaux, le caïd Aissa Ben Omar décida de mener une enquête sur cette force adversaire qui lui tenait tête. On lui rapporta que ses adversaires étaient animés par une jeune femme. Plus précisément, une cheikha qui portait le nom de Kharboucha.

Kharboucha composait des poèmes de Aïta à la gloire des hommes de Ouled Zaid où elle dénonçait le despotisme du caïd Aissa. À telle enseigne que plus aucune sortie, fête ou cérémonie ne pouvait être envisagée sans sa présence. Elle avait le pouvoir d’éveiller leur courage et susciter la détermination des guerriers.

وزيدو أولاد زايــد راه الحـــــال بعـــيد
‎ضربة على ضربة حتى لباب سي قدور
‎ضربة على ضربة حـــتى لبوكشــــور

‎ أنا عبدة لعبدة ولسي عيســـــــى لا
‎نوضا نوضا حتى لبوكشــــــــور
‎نوضا نوضا حتى دار السي قدور

‎سير أعيسى بن عمر أوكال الجيفة
‎أقتال اخـــــــــــــوتو أمحلل الحرام
‎سير عمّر الظـــــالم ما يروح سالم
‎وعمر العلـــــفة ما تزيد بلا عــلام
‎ورا حلفت الجمعة مع الثلاث يا عويسّة فيك لا بقات ‎

اللي ما عزاني ف كبيدتي نعرفو يكرهني
‎اتعالى اتعالى نسولك أداك الغادي
‎شكون سبابي حتى خرجت بلادي

Pour celles et ceux qui voudraient comprendre la paroles, voici une belle interprétation signée Soukaina Fahsi.

Kharboucha, la muse des guerriers‎


Dès lors, le caïd Aissa Ben Omar El Abdi ne put admettre de se laisser ridiculiser par une femme. Lui, qui faisait la guerre à des hommes de sa trempe ! Lui, le grand notable marocain du 19è siècle ! Pour laver son honneur et sous l’égide du Gouverneur Benhima, à Safi, il manda un certain nombre de notables, issus de tribus voisines, afin d’organiser une rencontre de conciliation avec les rebelles.


Le piège


Les Ouled Zaid finirent par accepter cette rencontre dans un endroit neutre, à l’intérieur de Safi. Le choix se porta sur un hangar appartenant à un négociant Espagnol, capable d’accueillir un grand nombre de guerriers. Ainsi, le 9 Novembre 1895, les deux délégations se présentèrent. Après de longues négociations, la cessation immédiate des hostilités fut décidée. Pendant qu’un grand alem lisait les décrets, sans adresser un mot à personne, le caïd Aissa Ben Omar entra calmement dans l’entrepôt, d’une démarche sûre, il traversa l’assemblée, s’arrêta à la hauteur du chef de la tribu Ouled Charfa et d’un geste brusque, se saisit de son sabre et fendit en deux la tête du pauvre homme. C’est ainsi que le signal fut donné aux partisans de Aissa Ben Omar. Provoquant un grand carnage, les hommes du caïd prirent un malin plaisir à égorger, trucider et éventrer les Ouled Zaid, trahis de la pire manière qui soit. Le caïd Aissa ordonna ensuite la fermeture des portes de la ville pour qu’aucun des Ouled Zaid ne puisse échapper à sa terrible vengeance. Surpris par les cris lointains des massacres, les habitants de Safi qui attendaient plus loin la fin des négociations, crurent d’abord que le Gouverneur Benhima était mort. De peur de se voir massacrés, ils se dirigèrent vers ville et réalisèrent que toutes les issues étaient fermées. Pris de panique, ils provoquèrent un gigantesque capharnaüm et de terribles bousculades où les plus vaillants enjambaient les plus faibles. Tandis que des centaines de personnes agonisaient, les rescapés des Ouled Zaid qui avaient réussi à fuir le massacre, pensèrent pouvoir se réfugier au marabout du saint Bou Mohamed Saleh, mais aucun d’eux n’échappa à la soif vengeresse du caïd Aissa qui déploya ses troupes jusque dans les dédales du mausolée.

En ce triste jour de 1895, connu aussi comme l’année de la bousculade (Rafssa), les 800 guerriers des Ouled Zaid qui se trouvaient ailleurs, furent arrêtés à Marrakech, Tétouan, Rabat et Essaouira. Dans d’indescriptibles conditions, on les jeta à Berdouz, la terrible prison du terrible caïd Aissa Ben Omar. Quant aux habitants de Safi, plus de 150 personnes succombèrent lors de l’effroyable bousculade.

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A la recherche de Kharboucha


Suite à ces évènements, cheikha Kharboucha dut se réfugier chez ses oncles, les Ouled Saïd des Chaouias. Mais Aissa ne compta pas s’en arrêter là. Car c’était d’elle dont il voulait s’emparer, et pour cela, il envoya plusieurs délégations armées à sa recherche. Refusant de la livrer aux hommes du despote, Boubker Ben Bouzid, le caïd des Ouled Saïd envoya aussitôt un message au Sultan pour le prévenir du terrible dessein manigancé contre la pauvre femme. Celui-ci envoya un m’khazni avec ordre écrit de chercher Kharboucha et la ramener à Rabat, au sein du sérail sultanien.

cheikha kharboucha

Curieux hasard, le jour où le dit m’khazni venait chercher Kharboucha, une délégation du caïd Aissa, composée de 12 cavaliers, se trouva chez les Ouled Saïd, pour une nouvelle tentative de récupération. Sur le chemin du retour, les cavaliers rencontrèrent le m’khazni en compagnie de Kharboucha. Ne se doutant pas de l’identité de la femme, ces derniers lui proposèrent de poursuivre leur chemin ensemble. Mais voyant que les deux voyageurs prenaient une toute autre direction, ils lui demandèrent où il comptait se rendre. Naïf et se croyant protégé par l’écrit du sultan, le m’khazni leur fit savoir qu’il conduisait Kharboucha au sérail. N’en croyant pas leurs oreilles, les cavaliers s’emparèrent de lui, le ligotèrent, kidnappèrent la pauvre Kharboucha et chevauchèrent à bride abattue vers le caïd Aissa pour lui délivrer leur précieux trophée.


La terrible vengeance du caïd Aissa  


Pendant plusieurs jours, dans sa prison du Berdouz, le caïd tortura Kharboucha, lui faisant subir les pires sévices, Il voulait que tout le monde sache, que lui, le terrible Aissa Ben Omar El Abdi était invincible. Chaque jour, il réunissait sa tribu, faisait monter Kharboucha sur un dromadaire, pieds et mains liés, faisait tourner la bête et obligeait la pauvre femme à chanter les mélopées, qui naguère envoûtaient et stimulaient les Ouled Zaid. Durant cette longue période de captivité, Kharboucha ne cessa de demander pardon au caïd Aissa, mais celui-ci n’éprouvait aucune pitié envers qui que ce soit, encore moins vis-à-vis de Kridda.


Une héroïne pour les Ouled Zaid, les Abdas… et plus encore !


Lassé par tout ce qu’il lui fit endurer à la jeune femme et frustré que celle-ci n’ait jamais cédé à ses avances, il l’emmena dans un endroit qui lui servait d’entrepôt, et dans un dernier accès de colère, mit le feu au local dans lequel il la fit brûler vive. En entrant dans cette maison, Kharboucha était consciente de sa mise à mort mais elle y pénétra en chantant. A ce jour, elle continue d’inspirer des générations entières de chanteuses, de femmes libres, engagées, amoureuses ou désobéissantes… Si c’est ainsi que vécut Kharboucha, c’est aussi ainsi qu’elle continue à vivre dans le souvenir des femmes et des hommes aussi.


Karma


Aissa Ben Omar a continué son hégémonie dans le territoire de Doukkala-Abda mais le siècle avait bien changé. En 1908, il soutint Moulay Hafid contre son frère légitime, le sultan Moulay Abdelaziz. En traitre qu’il fut, il réussit à obtenir en échange de cette alliance, le poste de ministre des affaires étrangères. Avec l’arrivée des français, en 1912, il joua le rôle de grand caïd, comme le voulait Lyautey dans sa mission de pacification et installation d’un protectorat par l’administration indirecte des populations au Maroc.

Sauf qu’à l’abdication de Moulay Hafid, les évènements prirent une toute autre tournure. Devenant moins utile, il finit par se soumettre aux manigances et jalousies d’autres grands caïds féodaux, tels que Mtougui, Ghoundafi, Ayyadi et surtout Thami El Glaoui. Tous, le supplantèrent… Mais ceci est une autre histoire.

Le caïd Aissa est mort en 1924. Quelques temps plus tard, sa Kasbah fut pillée et totalement détruite.

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