Tanger, 17 avril 1872. Du haut de ses 22 ans, Emily Keene quitte Big Ben pour le plus fabuleux des destins.
Guidée par son destin et perchée sur le mât d’un bateau, Emily Keene débarque sur un continent dont elle ignorait encore tout. La fille du gouverneur de la prison du comté de Surrey et de la descendante de l’archevêque de Canterbury était loin de s’imaginer qu’elle allait devenir l’épouse du chef de la plus grande confrérie de Ouezzane.
À peine arrivée à Tanger, Emily s’installa chez Ion Perdicaris, le célèbre millionnaire américain d’origine grecque. Quand ce dernier l’engagea en tant que gouvernante, Emily pensait déjà aux nombreux souvenirs qu’elle partagerait bientôt avec les siens, après son retour à Londres.
Mais dans ce petit château situé au cœur de la forêt Rmilate, Ion Perdicaris et sa femme organisaient de nombreuses fêtes et galas où avaient lieu des négociations diplomatiques, car rappelons-le, dans ce moment trouble de l’histoire, le Maroc faisait face aux appétits coloniaux de plusieurs puissances mondiales. Lors d’une réception, Haj Abdesslam Ben Larbi aperçoit la jeune anglaise et s’éprend d’elle. Connu sous le nom de Chérif d’Ouezzan, cet homme vif, intelligent et puissant était le chef de l’une des plus grandes zaouia marocaines.
Malgré l’opposition de leurs familles respectives, le mariage eut lieu le 17 janvier 1873. Un mariage auquel Emily imposa un certain nombre de conditions parmi lesquelles, le Chérif ne pouvait prendre une autre épouse, qu’elle puisse pratiquer le culte de sa religion, sortir librement et qu’après sa mort, elle soit enterrée dans son pays natal. Toutes les clauses furent respectées sauf la dernière, puisque Emily exprima peu avant sa mort un vœu d’amour et de fidélité envers son pays adoptif. D’où son envie de se faire inhumer en terre marocaine.
À travers son amour pour le Chérif d’Ouezzane, Emily Keene épousait une cause nationale qui consistait pour le Maroc, à aspirer à davantage de progrès, de
prospérité et de liberté. Elle épousait la détermination des femmes
à sortir de l’ignorance, de l’isolement et de la marginalisation. Elle épousait la foi des adeptes de la zaouia d’Ouezzane et les principes d’un soufisme serein et
ouvert. Emily avait également épousé la détresse des enfants malades, des enfants sans hygiène et des enfants en quête d’instruction.
Dans son journal, elle raconte qu’un jour son père prépara un bateau pour lui proposer de s’enfuir avec lui à Londres. Emily refusa cette invitation parce qu’elle était heureuse au Maroc.
« Je crains de ne pouvoir m’accoutumer à des villes comme Paris, ou même Londres. Je suis toujours heureuse de retourner dans mon pays d’adoption, bien que cela fasse s’exclamer mes amis que j’étais devenue très maure. Je ne peux être d’accord, car ma vie, ou plutôt mon mode de vie, a toujours été européen, et mon sens du devoir envers ceux qui mettent tellement de confiance en moi m’oblige à rester aussi longtemps que je le peux. »
Emily Keene, My Life Story -1912
Quand Emily Keene donna naissance à ses deux fils, son influence a été telle que des biberons se sont répandus jusqu’aux villages les plus reculés des montagnes du Rif. Soutenue par son mari, elle mena plusieurs combats, organisant des campagnes de vaccination, des actions pour l’amélioration de l’hygiène et de l’éducation. Elle exerça également son influence auprès des femmes pour des réformes utiles au pays, forma des aides soignantes et transforma une partie de la maison familiale en centre hospitalier pour nécessiteux. La mortalité infantile diminua considérablement et la jeune Emily gagna rapidement le cœur des Marocains. Son projet attira de nombreuses visites de monarques européens et diplomates, curieux de découvrir son projet.
Après la mort de son époux en 1891, Emily publia son autobiographie intitulée My Life Story. Ce livre constitue encore le témoignage clé d’une Européenne qui a connu le Maroc précolonial, la condition des femmes et les craintes des Marocains face aux guerres qui s’annonçaient.
Nommée officier du Ouissam Alaouite et promue officier de la Légion d’honneur pour ses services sous le règne de Sidi Mohamed Ben Abderahman et sous celui de Moulay Hassan 1er, Emily a également été décorée en Espagne, en France et en Tunisie. Elle est décédée en 1941 et repose à Dar Dmana où les Tangérois veillent jalousement sur sa tombe.
Khadija Dinia, aka Didije est une journaliste influenceuse qui jongle entre papier et digital, en s’inscrivant aux tendances du moment. Elle met sa plume, son regard et son coeur au service du beau, valorisant tout type de contenu.
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