En 1578, un événement extraordinaire bouleversa l’histoire du Maghreb. Après la sanglante bataille de Oued El Makhazin, où les portugais furent vaillamment combattus, le souverain Abu Marwan Abd Al Malik trouva la mort. C’est alors que son frère, Abou Al Abbas Ahmed, prit une décision audacieuse : il s’éleva au rang de roi et se proclama Al Mansour Addahbi. Dès lors, il devint le plus grand souverain des Bani Saad, marquant à jamais l’histoire de la dynastie des Saâdiens.
Au cœur du 16Ie siècle, une dynastie légendaire naissait dans les terres du Maroc, portant le nom puissant des Saâdiens. Tout commença dans la province de Draa, quand les tribus du Souss prêtèrent serment d’allégeance à un ch’rif venu de Tagmaddart en 1509. Un homme, visionnaire et ambitieux qui allait devenir le grand-père d’Al Mansour Addahbi ; celui qui marquera à jamais l’histoire de la dynastie.
Portés par les vents favorables de la confrérie Jazoulia et guidés par l’intrépide Mohamed Shaykh, les fils du ch’rif se levèrent en héros pour prêcher le jihad contre les Portugais. À partir de 1554, devenu un adversaire redoutable, il provoqua la colère de Suleyman Le Magnifique dont les ambitions ne connaissaient pas de limites. En effet, le Maroc demeurait le dernier bastion indompté échappant à l’emprise de l’empire ottoman.
Face à cette menace grandissante, les Saâdiens cherchèrent une alliance inattendue avec les Espagnols, maîtres d’Oran. Les portes du destin s’ouvrirent alors sur une chance inespérée. L’union de ces puissances permit à Mohamed Shaykh de s’emparer de Tlemcen, faisant trembler les fondations de l’empire ottoman. Mais cette audacieuse diplomatie engendra une inimitié tenace. En 1557, les Turcs envoyèrent des assassins, tels des ombres sans pitié, au service du pacha d’Alger, Hasan Corso. Leur mission macabre : décapiter Mohamed Shaykh et offrir sa tête en trophée au Sultan Suleyman.
Ce meurtre abominable aurait dû marquer la chute de la dynastie Saâdienne, mais l’Histoire en décida autrement. Contre toute attente, il eut l’effet inverse. Les Saâdiens, enracinés dans leur détermination, firent front, plus forts que jamais. Les chants de guerre résonnèrent à travers les montagnes, les cœurs s’enflammèrent d’une passion sans égale, et les Saâdiens s’élevèrent en légendes vivantes.
Ainsi, les fils du désert forgèrent leur destinée avec vaillance et audace. Leurs exploits, tissés dans le sang et la bravoure, marquèrent à jamais les mémoires de ceux qui osèrent défier les puissances d’un autre monde. Les Saâdiens étaient nés, prêts à écrire leur chapitre captivant dans les annales de l’Histoire.
Les princes exilés : intrigues, alliances et destinée
Quelques années plus tard, les destins des deux princes, Abou Al Abbas Ahmed (futur Ahmed Al Mansour Addahbi) et Abu Marwan Abd Al Malik, se mirent en marche. Dans l’ombre de leur demi-frère, Moulay Abdallah Al Ghalib, qui cherchait à les éliminer pour devenir l’unique représentant de la dynastie Saâdienne, les deux frères s’exilèrent à Istanbul.
Le soutien paradoxal du sultan ottoman, Murad III, envers les princes Saâdiens aurait pu sembler étrange compte tenu des relations conflictuelles entre le Maroc et la Turquie. Pourtant, Abd Al Malik et son frère firent preuve d’une intelligence tactique remarquable en exploitant cet appui afin de reconquérir le trône et éliminer leur neveu, Mohammed Al Moutaouakil, qui s’était allié aux Portugais.
C’est d’ailleurs lors de sa quête d’aide auprès du roi Don Sebastian de Portugal que Moutaouakil provoqua la terrible bataille de Oued Al Makhazine, où ces deux rois trouvèrent la mort le 4 août 1578. L’un périt en tentant de fuir le champ de bataille, emporté par les flots, tandis que l’autre succomba lors des affrontements.
Ce tournant tragique de l’histoire allait sceller le destin des Saâdiens, bouleversant les équilibres et préparant le terrain pour l’ascension d’Ahmed Al Mansour Saadi, le futur Al Mansour, le Victorieux.
L’ombre perfide
Un autre destin tragique frappa le troisième roi en titre, Abu Marwan Abd Al Malik. Les chroniqueurs se trompèrent en racontant son décès, car la réalité était bien différente : il fut victime d’un empoisonnement orchestré par ses « alliés » turcs. Le Sultan Murad III avait ourdi un plan machiavélique en envoyant son caïd Redhouân Eleuldj accompagner le roi Abd Al Malik, tel une ombre silencieuse, dans le but de surveiller les Saâdiens et s’emparer du pouvoir au moment opportun. Ainsi, le grand caïd remit un gâteau empoisonné à ses acolytes, qui l’offrirent à Abd Al Malik. Leur objectif était clair : faire périr le sultan à Fès, afin de prendre le contrôle de la ville et étendre la domination turque sur tout le territoire marocain.
Malgré son appréciation du gâteau empoisonné, le sultan ne trouva pas la mort à Fès. Il endura des jours de souffrance, parvint jusqu’à Oued El Makhazine, eut le courage de diriger la bataille, mais succomba avant son terme. Conscient du désastre imminent, son chambellan eut la sagacité de dissimuler la mort du sultan à ses vizirs et généraux. Il conduisit la litière du sultan, où il continuait de donner des ordres aux chefs de guerre, au nom d’un sultan « souffrant » mais toujours « vivant ». En urgence, il fit venir le frère du roi, Abou Al Abbas Ahmed, à Fès. À peine arrivé, ce dernier eut tout juste le temps de constater la terrible défaite de leurs ennemis et ordonna que la dépouille de son défunt frère soit inhumée à Marrakech.
Ainsi se termina la vie d’Abu Marwan Abd Al Malik, victime d’une perfidie meurtrière ourdie dans l’ombre, tandis que le destin du Maroc était bouleversé par ces sombres manigances.
L’ascension flamboyante d’Al Mansour
Malgré son absence lors de la bataille des Trois Rois, le jeune prince fut couronné nouveau sultan du Maroc. Les historiens le désignèrent victorieux des décennies plus tard, lui attribuant le surnom éclatant d’Al Mansour, tandis qu’il était également connu sous le nom de Addahbi, le Doré. Ce dernier lui fut accordé en raison des rançons qu’il perçut pour la libération de nobles portugais, et non, contrairement à certaines interprétations historiques, en référence à l’or provenant du Soudan (actuel Mali) qu’il rapporta des années plus tard. Dès son avènement au trône, Al Mansour organisa son armée sur le modèle turc et se lança à la recherche de nouveaux territoires, d’or et d’argent afin de consolider son pouvoir.
Ainsi débuta la spectaculaire ascension d’Al Mansour, un souverain assoiffé de conquêtes et de richesses, dont l’éclat illuminait les horizons du Maroc.
La Conquête glorieuse
Au cœur des bouleversements géopolitiques, tandis que l’empire Songhaï de Gao s’emparait des salines de Teghazza et que les caravelles portugaises ébranlaient le commerce transsaharien, Al Mansour émergea en véritable conquérant. En 1581, ses armées s’emparèrent des oasis du Touat, ouvrant ainsi une voie stratégique reliant le Sud algérien à Tombouctou et Gao. Le sultan rétablit les échanges fructueux qui avaient enrichi le Maroc pendant des siècles.
Mais Al Mansour était animé d’une ambition débordante. En 1591, son armée, bravant les déserts impitoyables de Tindouf, Teghaza et Tawdeni, affronta les troupes de l’Askia de Gao. La victoire fut éclairante et Gao tomba sous l’assaut implacable des troupes marocaines. L’Askia, se pliant aux conditions imposées par Al Mansour, espérait apaiser son courroux. Mais le sultan, avide de plus de pouvoir, dépêcha Mahmoud Pacha avec des renforts exigeant des concessions supplémentaires.
L’Askia, refusant d’abdiquer sa dignité, scella sa propre destruction. Le Maroc, quant à lui, se trouvait dorénavant aux portes de la richesse incommensurable. Des mines d’or, des réserves de sel, et des milliers d’esclaves affluèrent, comblant les coffres du royaume. Chaque année, un tribut de 60 quintaux de poudre d’or, connu sous le nom d’Oro de Libar, était versé par les hommes de Songhaï, tant sa finesse et sa valeur étaient prisées par les marchands européens.
Fortune en main, Ahmad Al Mansour Addahbi érigea une cour magnifique, attirant les ambassadeurs venus des quatre coins du monde. Son règne brillait de toute sa splendeur, un témoignage éclatant de la grandeur et de l’ambition du sultan marocain.
Quand les cours de Marrakech et de Londres se rencontrent
Les souverains d’Europe s’empressèrent de forger des liens avec ce nouvel Empereur maure, et en tête de file se tenait la reine Élizabeth Tudor d’Angleterre. Animée par le désir de contrer les ambitions de Philippe II, elle souhaita sceller une alliance stratégique anti-espagnole avec le puissant califat Saadien.
Cette audacieuse politique prit forme lors de l’attaque anglo-marocaine contre Cadix en 1596, suivie de l’échange d’ambassadeurs entre les cours de Londres et de Marrakech en 1600. Cette même année, Al Mansour dépêcha une délégation somptueuse à la cour d’Angleterre, dirigée par le charismatique et énigmatique Abd al-Wahed ben Massoud Annouri, dans le but d’établir une alliance contre les Espagnols. L’histoire raconte que William Shakespeare, ébloui par l’éclat de cette ambassade marocaine et de son illustre chef, s’en inspira pour donner vie à son célèbre personnage d’Othello.
L’arrivée de l’éléphant royal
Plongeons dans une autre histoire, une anecdote aussi intrigante qu’insolite. En l’an 1593, un éléphant venu tout droit du Soudan (Mali) fut présenté au Sultan Al Mansour. Lorsque cet imposant animal pénétra les terres marocaines, hommes, femmes et enfants se ruèrent hors de leurs demeures pour contempler ce spectacle extraordinaire.
Puis vint le mois sacré de ramadan en 1599, et l’éléphant fut escorté jusqu’à Fès. C’est là que l’histoire prend un tournant surprenant. Selon certains auteurs, les guides africains qui accompagnaient l’animal fumaient du tabac, affirmant que cette plante mystérieuse recelait de nombreux bienfaits. La coutume se répandit rapidement, d’abord dans le Draâ, puis à Marrakech, et enfin dans tout le Maghreb.
Cependant, les savants juristes furent divisés. Certains déclarèrent son usage illicite, invoquant les préceptes de la loi, tandis que d’autres l’approuvèrent, reconnaissant en cette plante des vertus insoupçonnées. Ainsi, une controverse naquit, alimentant les débats et les passions au sein du royaume du Maroc.
Entre esclaves, or et canne à sucre
Dans l’ombre de l’opulence de l’empire Saadien, se cachait une source de richesse aussi savoureuse que lucrative : la canne à sucre. Cet or sucré, très prisé en Europe, avait une valeur qui égalait celle de l’or lui-même en Angleterre et en Italie. Les terres fertiles du Haouz de Marrakech et des environs de Taroudant furent transformées en vastes plantations de canne à sucre, tandis que les usines de raffinage tournaient à plein régime.
Pour soutenir cette culture exigeante, d’importants réseaux d’irrigation furent mis en place, comme la séguia du Qsob, un ouvrage long de 25 kilomètres. Dans la région d’Agadir, d’immenses aqueducs furent également érigés pour drainer l’eau nécessaire aux plantations. Et pour assurer une main-d’œuvre abondante, Al Mansour importa des esclaves d’Afrique, implantant plusieurs villages dédiés à leur hébergement et travail.
Les plantations, gérées par l’État, firent appel à des concessionnaires étrangers, tels que les Anglais Thomson et Wakeman, ou encore les Français Eustache Trevache et Saint-Mandrier. Ces entrepreneurs étrangers se lancèrent dans l’aventure sucrière marocaine, profitant de cette manne exotique qui faisait frémir les papilles des Européens avides de douceurs.
Ainsi, l’empire Saadien devint non seulement un trésor d’or et d’esclaves, mais aussi le gardien des saveurs sucrées qui envoûtaient les palais des plus gourmands.
Palais Badiî : Un rêve éphémère de grandeur et de splendeur
Captivé par sa propre vanité, Al Mansour se lança dans la construction de son plus somptueux palais. Ainsi naquit le Palais Badiî, également connu sous le nom du palais des mille et une nuits. Pour donner vie à son ambition démesurée, Al Mansour convoqua les érudits de son époque, cherchant à déterminer le moment propice pour entamer cette entreprise grandiose. Les premiers coups de marteau résonnèrent en décembre 1578, et il fallut attendre jusqu’en septembre 1594 pour voir l’édifice majestueux prendre forme.
Des ouvriers venus du monde entier, principalement d’Europe, furent recrutés par Al Mansour pour bâtir son chef-d’œuvre. L’afflux massif de richesses issues de l’industrie sucrière lui permit même d’importer du marbre d’Italie, payé en sucre, poids contre poids. Les autres matériaux, tels que le plâtre, la chaux et bien d’autres, furent soigneusement choisis et provenaient de divers pays, y compris de la lointaine Tombouctou.
Le peuple, sollicité pour financer une partie de la construction de ce palais sans égal, contribua à sa manière. Cependant, Al Mansour récompensa généreusement les artisans, leur prodiguant d’énormes gratifications. Il prit même en charge l’éducation de leurs enfants, veillant à ce qu’ils se consacrent entièrement à leur travail sans être distraits par d’autres préoccupations. Cette stratégie, employée autrefois par les pharaons et les sultans d’Orient, garantissait la qualité et la grandeur de l’œuvre.
Le Palais Badiî émergea comme une construction imposante et spectaculaire. Les magnifiques coupoles de 50 coudées (25 mètres) ornant chaque face du bâtiment en étaient le reflet. Des incrustations en onyx, des marbres d’un blanc argenté ou entièrement noirs ajoutaient à sa splendeur. Les murs étaient recouverts d’or fondu, les plafonds et les chapiteaux brillaient de mille feux, tandis que le sol était pavé de dalles de marbre poli. Les murs, quant à eux, étaient revêtus de faïences aux couleurs chatoyantes. Les portières arboraient des inscriptions calligraphiques, brodées ou sculptées, émerveillant les visiteurs.
On racontait que le Palais Badiî suscitait une vive jalousie chez les palais de Madinat Azzahra et le sublime palais d’Ezzahira, érigés cinq siècles auparavant par les omeyyades en Andalousie. Les cours et les fontaines du palais étaient alimentées par un système complexe d’irrigation, avec des canaux et des aqueducs ingénieusement construits. Les eaux les plus pures coulaient, provenant des piémonts de l’Atlas. Le Palais Badiî devint l’une des merveilles les plus splendides qui aient jamais existé, un paradis terrestre, une prouesse artistique qui défiait l’imagination.
Lorsque Kasr Al Badiî fut achevé, Al Mansour organisa une fête grandiose, conviant les notables du royaume à y participer. Des mets succulents furent servis, des friandises variées régalèrent les invités, et des cadeaux d’une générosité inégalée furent distribués. Parmi les nombreux convives se trouvait un bouffon, jouissant d’une belle réputation auprès du Sultan. Lorsque Al Mansour plaisanta sur la future démolition du palais, le bouffon lui répondit avec sarcasme : « Quand il sera démoli, il fera un gros tas de terre. » Stupéfait par cette réponse, Al Mansour y vit un sinistre présage qui, malheureusement, se réalisa plusieurs décennies plus tard.
Les constructions furent démolies, les objets d’art mutilés, et les matériaux pillés par les successeurs d’Al Mansour, qui vendirent même l’or du palais pour financer leurs guerres civiles. Aucune ville du Maroc n’échappa à la dispersion des débris du Palais Badiî.
Dans Nouzhat Al Hadi, rédigé en 1725 par Al Oufrani, le principal auteur de l’histoire des Saâdiens, on trouve cette citation intrigante : « J’ai calculé la valeur numérique des lettres composant le mot Badiî. Elle correspond au chiffre 117. Ce nombre représente les années pendant lesquelles le palais a rayonné. Il fut achevé en l’an 1002 de l’hégire (1594) et entièrement détruit en l’an 1119 de l’hégire (1711). Une coïncidence singulière. La durée, l’éternité et le pouvoir absolu appartiennent à Dieu, et c’est à Lui que tous rendront compte, sans que personne ne puisse Lui demander compte de Ses actions.«
Le Kasr Al Badiî connut un autre drame lorsqu’un des successeurs d’Al Mansour Ad-Dahbi permit aux Espagnols de piller l’immense bibliothèque du palais, qui comptait plus de 40 000 ouvrages. La plupart de ces trésors culturels avaient été obtenus lors d’un pillage à Tombouctou orchestré par le Pacha Jawdar. Les ouvrages furent transportés à l’Escurial de Madrid, mais un terrible incendie ravagea plus tard cette partie de la célèbre bibliothèque royale d’Espagne.
La quête de filiation
La dynastie des Saâdiens, originaire de la tribu berbère des Masmouda, est étroitement liée à une quête de filiation et à une manipulation de l’histoire. S’appuyant sur « Jamharat Al Ansab« , le recueil des généalogies des peuples arabes d’Ibn Hazm Al Andaloussi, les princes Saâdiens se sont attribués une ascendance chérifienne. Ils prétendaient ainsi descendre de la tribu arabe des Banou Saad, à laquelle appartenait Halima Es-Saàdia, la nourrice du Prophète Mohammed (que la paix soit sur lui).
Cette recherche de filiation n’est pas unique aux Saâdiens. Les conquêtes musulmanes en Afrique du Nord et l’établissement des dynasties Omeyyades, Idrissides et Fatimides reposaient toutes sur des revendications de filiation avec des conquérants, des prétendants aux trônes arabes, des tribus ou encore la Maison du Prophète. Cette quête indéniable de légitimité se transforma rapidement en un système de pensée politique, mais ses limites devinrent rapidement évidentes. En effet, cela contribua à segmenter les sociétés conquises en castes, provoquant des émeutes et des dissensions au sein de l’Espagne musulmane.
Au Maroc, les péripéties des Barghwatas ont éveillé la méfiance de la population envers les arrivants venus de l’Orient. Seuls les Idrissides firent exception à cette méfiance. Après eux, et jusqu’à l’avènement des Saâdiens, aucune autre dynastie arabe ne vit le jour au Maroc. Contrairement à ce qui est souvent rapporté dans les manuels d’histoire, les Saâdiens étaient en réalité issus de la tribu berbère des Ait Wissaàdden d’Aqqa avant de s’établir dans la vallée du Draa. C’est grâce à Sidi Muhammed U M’barek, fondateur de la zaouïa de Tagmaddart en aval de Zagora, que cette transformation s’est opérée. Ce saint berbère eut la vision de créer une nouvelle filiation chérifienne arabe à un moment où les dynasties berbères étaient discréditées en raison de leur réputation belliqueuse. En adoptant cette nouvelle filiation et en arabisant leur nom, les Saâdiens se lancèrent à la conquête du Maroc avec le soutien des populations berbères. Cette approche nouvelle soulignait la centralité du « sultan-sharîf », descendant du Prophète, et sa filiation arabe dans une terre berbère. Sur le plan religieux, le sultan-sharîf avait donc le privilège de prononcer le prêche et de présider les prières du vendredi, de l’Aïd al-Fitr et de l’Aïd al-Adha.
Entre tradition et innovation
Lors des cérémonies officielles et des audiences, Al Mansour, tel un souverain éblouissant, revêtait son habit d’apparat immaculé. Composé d’un seroual, d’un q’mîs, d’un caftan à manches amples, d’un selham et de la fameuse chachiyya rouge, plus connue sous le nom de fez, entourée d’un turban de mousseline. Cet ensemble vestimentaire, inventé par les Saâdiens, est encore largement utilisé de nos jours, préservant ainsi l’héritage et le raffinement de cette époque révolue.
Inspiré par les somptueuses cours ottomanes qu’il avait eu l’occasion de visiter, Al Mansour créa également un nouveau protocole pour ses cérémonies. En tête du cortège, défilaient les emblèmes des ordres religieux, politiques et militaires, annonçant majestueusement l’arrivée imminente du souverain et le distinguant ainsi du reste de la cour. Étendards flamboyants, trompettes résonnantes, clairons sonnants et tambours retentissants accompagnaient cette procession grandiose.
Cependant, le symbole ultime du pouvoir chérifien demeurait l’ombrelle impériale. Conçue pour protéger le souverain en mouvement, cet objet majestueux se caractérise par un manche couronné d’un dôme symbolisant l’axe de l’univers et la voûte céleste. Si l’ombrelle, appelée midalla, avait déjà acquis une valeur symbolique chez les Perses, les Abbasides et dans d’autres cours orientales, voire même en Occident, elle demeure encore aujourd’hui un emblème incontournable de la souveraineté des monarques marocains.
Ainsi, par ses tenues somptueuses et ses cérémonies imposantes, Al Mansour parvint à allier tradition et innovation, créant un héritage visuel d’une splendeur inégalée. Sa vision esthétique et son sens du protocole ont laissé une marque indélébile dans l’histoire du Maroc, tout en témoignant de la grandeur et de la magnificence de la dynastie Saâdienne.
Le pouvoir nomade du Sultan
Pour régler les conflits tribaux, étouffer toute tentative de sédition ou simplement s’adonner à la chasse, il était coutume pour le sultan de passer une partie de l’année loin de la capitale impériale. Dans ces moments-là, la cour entière l’accompagnait tandis qu’un palais mobile, connu sous le nom de Mehalla, était dressé. Ce camp circulaire, avec ses tentes plantées autour du pavillon impérial, reflétait la toute-puissance de celui qui occupait son centre. La Mehalla devint rapidement un instrument privilégié de la diffusion de l’idéologie califale d’Al Mansour Addahbi.
À l’origine du Makhzen
Le sultan, détenteur des attributs de son pouvoir absolu, instaura un système de gouvernement unique et inégalé, connu sous le nom de Makhzen. Ce terme, qui donnera plus tard naissance au mot français « magasin », désignait initialement l’endroit où l’argent, les biens précieux et le trésor public étaient entreposés. Au Maroc, il apparut pour la première fois au 12ème siècle sous les Almohades, désignant ainsi le trésor califal.
Sous le règne d’Al Mansour, le terme « Makhzen » évolua pour englober le fonctionnement, l’étiquette de la cour, l’organisation et l’administration centralisée de l’État. Dans sa gouvernance, Al Mansour Addahbi introduisit un protocole selon lequel il accordait des audiences derrière un voile. De plus, il apporta une innovation vestimentaire avec le caftan Mansouriya, qui est encore aujourd’hui un symbole de cette époque glorieuse.
L’héritage politique d’Al Mansour
Al Mansour croyait fermement que seule la fermeté permettait de maintenir le contrôle sur le peuple, et malgré ses politiques parfois oppressives, il fut l’un des plus grands sultans de l’histoire du Maroc. Son règne marqua une renaissance culturelle et artistique, en particulier à Marrakech. Il était également réputé pour avoir modernisé l’armée marocaine en introduisant les dernières avancées militaires de l’Empire ottoman. Sur le plan politique, la dynastie saâdienne ne connaissait pas la figure du grand vizir, mais instaura le titre de « Ouazir al qalam » (secrétaire de la plume), chargé de gérer la correspondance de l’État. Le rôle du Hajib (chambellan) prit de l’ampleur au sein du palais saâdien, avec une étiquette rigoureuse inspirée des coutumes du palais de Topkapi. Sur le plan administratif, le Makhzen saâdien nommait des pachas et des beys à la tête des provinces. À Fès, la deuxième ville du pays, le sultan était représenté par un Khalifa. Les garnisons, composées de Turcs, de renégats étrangers, d’Andalous et de Marocains, avaient pour double mission de maintenir l’ordre et de collecter les impôts.
Entre les voyages du sultan, le faste du Makhzen et la vision politique d’Al Mansour, la dynastie saâdienne laissa une empreinte indélébile dans l’histoire du Maroc, témoignant de la grandeur de cette époque et du pouvoir inégalé du sultan-chérif.
L’arrivée de Moulay Ismail
Al Mansour Addahbi fit preuve d’une grande habileté pour unifier le pays et lui redonner sa place prépondérante dans le concert des nations de l’époque. Mais l’histoire officielle ne raconte pas toute la vérité. Certains historiens rapportent que ce grand roi succomba à la Peste. Cependant, la réalité serait bien plus sombre.
Après un règne de vingt-cinq ans, Al Mansour Addahbi trouva une fin tragique en l’an 1603. Il est désormais avéré que le souverain ne fut pas emporté par le fléau du Moyen Âge, mais plutôt par un poison qui lui fut administré par son propre fils, Zaydan. Un meurtre perfide qui avait pour objectif de barrer la route à son frère, Al Maamoun, héritier présomptif du trône. Ainsi, dans les méandres de ce royaume, se joua un véritable drame shakespearien, dont les conséquences allaient bouleverser l’avenir du pays.
À peine le roi disparu, l’État sombra dans l’anarchie, plongé dans une terrible guerre de succession entre les fils d’Al Mansour. Zaydan s’empara d’abord du trône, poussant son frère Mohammad Ash-Sheikh à s’enfuir en Espagne pour échapper à son courroux. Profitant du soutien des armées espagnoles, Mohammad Ash-Sheikh reconquit le Maroc et reprit le pouvoir, au prix d’une lourde dette envers ses alliés. En signe de gratitude, il leur céda la région côtière de Larache… ainsi que la légendaire bibliothèque du palais du Badiî.
Cependant, cette soumission aux étrangers provoqua le mécontentement du peuple et compromit la position de Mohammad Ash-Sheikh. Son règne impopulaire trouva une fin tragique en l’an 1613, lorsque les forces de l’ombre mirent fin à sa vie. Quelques années plus tard, des Chérifs, issus de la vallée du Tafilalet, saisirent l’occasion et prirent le pouvoir, marquant ainsi le début d’une nouvelle ère.
Ainsi s’achève cette partie de l’histoire qui fut marquée par le règne d’Al Mansour Addahbi et les conséquences dévastatrices de sa mort. Mais le destin avait encore des surprises en réserve pour ce pays. L’arrivée imminente d’un grand sultan, nommé Moulay Ismail, allait façonner l’avenir du Maroc d’une manière tout à fait inattendue. Mais ceci est une autre histoire… que nous vous raconterons aussi !
Khadija Dinia, aka Didije est une journaliste influenceuse qui jongle entre papier et digital, en s’inscrivant aux tendances du moment. Elle met sa plume, son regard et son coeur au service du beau, valorisant tout type de contenu.
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