Que celui qui n’a jamais chanté « A Jrada Malha » me lance la première pierre ! Cette comptine qui, longtemps, a bercé notre enfance, résonne encore dans les mémoires de notre patrimoine culturel. Mais quelle histoire cache t’elle réellement ? Qui est cette jrada ? pourquoi est-elle malha ? Et où se trouve le Jnane de Salha? Voici leur histoire.
Au XVIe siècle, à Marrakech, sous la dynastie Saadienne, résidait une souveraine nommée Touda Ouazguitiya, également reconnue sous le nom de Messouda. Son père, Cheikh Ahmed Ben Abdallah Al Ouazguiti Al Ouarzazi, assumait le rôle d’émir de la Casbah de Taourirt et des tribus environnantes. En unissant les forces du Souss et de Draa, il appuya Mohammed ech-Cheikh dans son accession au pouvoir. Touda, renommée pour sa beauté, son intégrité et sa piété, fut surnommée Salha. Plus tard, elle devint la mère du Sultan Al Mansour Addahbi Saadi.
Un jour, pendant le mois de Ramadan et alors qu’elle était enceinte, Touda se rendit avec sa cour en N’zaha au jardin de la Menara. Au cœur du jardin, se trouvait un immense bassin construit par les Almohades pour stocker l’eau des montagnes enneigées de l’Atlas. Cette eau était acheminée par un système ingénieux de canalisations souterraines appelées « Khettaras », qui servaient à irriguer les champs et à alimenter les fontaines de Marrakech. Ces jardins, autrefois plantés par la reine Zaynab l’Almoravide, étaient devenus un symbole de la grandeur et de la splendeur de Marrakech.
Dans ce cadre paisible, Touda succomba à une envie soudaine de manger des fruits. Elle consomma quelques prunes et une grenade, mais prise de remords, elle renversa le reste des fruits et ordonna à sa suite de revenir immédiatement au palais. Par la suite, elle se consacra à la prière et à la charité, cherchant à se faire pardonner de son acte qu’elle estimait être un péché. Touda passa ensuite des jours en prière, cherchant à se faire pardonner son acte, qu’elle croyait impardonnable. Toute la ville apprit l’incident, ce qui lui valut le surnom de Salha, la bienfaitrice. Ainsi, le jardin de la Menara fut renommé J’nane Salha.
La jalousie destructrice d’Aqissa
Quelques années plus tard, Salha donnait trois fils au Sultan Saadien. Elle montrait une nette préférence pour le cadet, Moulay Ahmed, qu’elle considérait, malgré les réticences de son père, comme le plus apte à gouverner. Et c’est à partir de là que l’histoire de la comptine commence.
Avec l’arrivée d’Aqissa, une sorcière malveillante, un élément surnaturel vint bouleverser la vie de Salha. Consumée par la jalousie envers la reine, elle décida de semer le chaos dans sa vie en faisant appel à de sombres pouvoirs. Aqissa kidnappa les enfants de la reine, provoquant une psychose et mettant à rude épreuve les liens qui unissaient les membres des tribus. Par ce geste, Aqissa visait également à perturber l’ordre qui régnait dans la communauté. Sa magie noire et ses manigances aggravèrent les conflits, menaçant de plonger les tribus dans une discorde irréparable.
Revenons maintenant sur quelques détails de la comptine. Souvenez-vous que « Salha » est la mère du Sultan Saadien Mansour Addahbi, et que « Jnane » Salha est le jardin de La Menara. Maintenant, continuons.
La quête de justice de Bou Meftah
Au cœur de cette ère Saadienne, s’élevait le Cadi Bou Meftah, un juge religieux dont le nom résonnait avec force, respect et autorité. Sa sagesse dans l’interprétation de la charia (loi sacrée de l’islam) était incontestée. Tel un pilier de justice, il jouait un rôle déterminant dans l’administration judiciaire de son temps. Ses décisions, empreintes d’une profonde influence, étaient considérées comme le fondement de l’ordre et de la légitimité .
Cependant, dans une tournure fantastique, Bou Meftah, reconnu aussi pour sa maîtrise des arts occultes, se vit confronté à cette crise grandissante. Appelé à agir contre les méfaits d’Aqissa, il utilisa tout son savoir et ses pouvoirs pour contrecarrer ses desseins maléfiques. Triomphant, il brisa l’enchantement, transformant la sorcière en sauterelle, afin qu’elle ne puisse plus nuire et commettre des actes répréhensibles.
En poursuivant notre histoire, nous découvrons de nouveaux personnages. Le célèbre Bou Meftah et l’intrigante sauterelle. Mais pourquoi « Malha » ? Dans un mélange de folklore, de mythe et de croyances, c’est que nous nous apprêtons à vous faire découvrir.
La vengeance d’Aqissa
Réduite à une forme moins menaçante, Aqissa était rongée par la colère et l’humiliation. Ne pouvant se résoudre à sa condition de sauterelle, elle nourrissait une vengeance ardente contre Salha. Emportée par une fureur indomptable, elle dirigea une nuée de sauterelles vers le jardin fertile de la Menara, déterminée à le réduire en poussière, mais également à ébranler la communauté qui l’entourait. Dans un tourbillon de destruction, les sauterelles envahirent le jardin, ravageant arbres, fruits, plantes et fleurs. Jadis cet écrin de verdure foisonnant de vie, se voyait désormais menacé par les insectes.
Armée de techniques ancestrales, inspirée par les leçons de Bou Meftah et guidée par leur affection pour Salha, la communauté s’unifia pour protéger leur joyau de cette vague déferlante. Ainsi, les villageois s’engagèrent dans une lutte acharnée pour capturer les sauterelles. Leur combat porta ses fruits, chaque sauterelle fut donc capturée.
Victorieux, les villageois capturèrent toutes les sauterelles, les cuisinant selon des méthodes traditionnelles de l’époque. Chacune fut dégustée, sauf Aqissa, dont le goût étonnamment salé la distinguait des autres. Cette singularité gustative captiva l’attention des habitants et fut à l’origine d’une comptine populaire au sein du village.
Ah jrada malha, fine kounti sarha,
Ah sauterelle salée, où t’es-tu égarée,
f jnane Salha
dans le jardin de Salha ?
Ach kliti, Ach chrebti
Qu’as-tu mangé, qu’as-tu bu ?
Ghir teffah, w neffah
La pomme, la grenade !
Ya cadi ya Bou Meftah
Ô juge, Ô Bou Meftah.
Cette saga, riche en personnages et en rebondissements, reflète la profondeur de la culture et de l’histoire marocaine. Elle tisse les traditions orales de la spiritualité et des croyances populaires, capturant l’essence d’une époque où les histoires de sorcières, de saint hommes et de reines pieuses étaient des leçons de vie et des symboles de la richesse culturelle du Maroc. Devenue une berceuse pour les enfants de Marrakech, l’histoire d’Aqissa véhicule de précieux enseignements contre la jalousie, la sorcellerie et la méchanceté. Elle illustre la croyance que le mal finit toujours par retomber sur celui qui le commet.
Après avoir retrouvé son fils bien-aimé, Touda se lança dans la construction de plusieurs mosquées, dont une particulièrement célèbre près de Bab Doukkala à Marrakech. Son dévouement aux pauvres et aux orphelins témoignent également de sa grande générosité.
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Khadija Dinia, aka Didije est une journaliste influenceuse qui jongle entre papier et digital, en s’inscrivant aux tendances du moment. Elle met sa plume, son regard et son coeur au service du beau, valorisant tout type de contenu.